ÉDITORIAL
Le Québec dans la réalité : quelle vision admettre?
Bon, c’est vrai, j’ai deux colonnes (550 mots) chaque semaine, mais une demi-page entière pour revenir sur un sujet aux tenants et aux aboutissants pourtant très clairs, avec un titre sous forme de question mais trompeur, puisque le postulat qui sous-tend la lettre d’opinion est sans appel ?
Les Québécois n’aiment pas les « gens différents » : stéréotype largement colporté par le ROC et une gauche multiculturaliste et politiquement correcte, qui ignorent volontairement la situation actuelle et réelle au Québec. Et qui jouent eux-mêmes à « eux » contre « nous ». Faisons preuve de pédagogie et revenons-y alors.
Il y a quelque temps, l’éditorial de Fred Ryan à propos de la fête de fin d’année à l’école Deschênes en faisait la démonstration, la société québécoise a changé, elle est largement aussi multiculturelle en milieu urbain que partout ailleurs au Canada; peut-être depuis moins longtemps, mais là n’est pas le même problème. La loi 21 sur la laïcité de l’état (et non sur la laïcité de tous les Québécois, remarquez la – grosse – nuance) n’est pas seulement soutenue par des Québécois blancs, catholiques, « de souche », mais par une majorité de la population. Seule une minorité est contre, qui défend ses prérogatives, ce qui est compréhensible. Mais il faut faire la part des choses et ne pas être de mauvaise foi.
La loi 21 n’interdit à personne d’avoir ses propres croyances et de les exprimer en général, ni à la maison, ni dans la rue, ni dans la plupart des lieux publics. Personne ne prône l’uniformisation. D’abord, cette loi ne concerne qu’une catégorie de professionnels, dans certaines fonctions. Des professions déjà sujettes à un devoir de réserve d’ailleurs. Un juge, un policier ou un enseignant ne peuvent afficher leurs opinions politiques. Vous êtes d’accord sur ce point, non? Alors pourquoi serait-ce différent des opinions religieuses? Brime-t-on leur liberté de conscience? Pas du tout, seulement son expression. OK, et alors? Garder une certaine réserve quant à ses opinions permet justement de n’en brimer aucune ostentatoirement, visiblement. Bien sûr, ils pourraient tout de même briser ce devoir par leurs actes ou leurs paroles, mais admettons quand même que les apparences comptent… Avez-vous besoin d’un exemple à l’appui?
Les accommodements plus ou moins raisonnables, comme demander à ce qu’un homme soit soigné par un homme, et le port de certains vêtements, telle la burqa, ne sont certes pas une atteinte à la laïcité (sauf dans les cas de fonctionnaires en autorité), mais plutôt des attitudes dangereuses et/ou qui s’attaquent à la dignité féminine. Rien de plus. Et il ne sert à rien d’argumenter sur ce point en avançant un pseudo-progressisme des religions monothéistes. Elles ne le sont pas, il suffit de relire leurs livres sacrés.
En revanche, il faut évidemment faire en sorte que la laïcité ne soit pas utilisée pour cacher du racisme ou de la xénophobie. Car ce n’est pas son propos, en particulier quand on l’applique au service public. En effet, un état moderne, démocratique et féministe n’a pas de religion, précisément pour mieux servir toutes les religions équitablement. Est-ce si difficile à admettre? Gardons à l’esprit qu’en démocratie s’il est normal que les minorités puissent s’exprimer, qu’il y ait débat, il est aussi normal de respecter le choix de la majorité.