ÉDITORIAL
Le « schizophrénisme » économique
Je dis souvent que nous vivons dans une société qui nous amène à être un peu schizophrènes, à montrer deux personnalités ou plus, à avoir deux discours différents selon les situations. Ce n’est peut-être pas tout à fait nouveau pour l’être humain, mais cela me paraît plus criant parfois. En revanche, je ne suis pas certain que nous ayons les moyens, les connaissances pour le voir… le bon sens ne suffit pas toujours.
Tenez, au Canada, on nous rabat les oreilles avec les vertus du libre-échange, comme si c’était le summum du progrès et la clef du bonheur pour tous. Nos voisins américains en sont arrivés à la conclusion contraire, en élisant un président qui prône le nationalisme économique (le fameux « Buy american »). Dans le même temps, les gouvernements fédéral et provincial (de l’Ontario) se targuent d’aider la marque privée d’automobiles Ford en la subventionnant. Traduction : nos impôts (partie du salaire de notre travail) vont servir à construire une voiture que nous pourrons ensuite acheter, toujours avec notre argent, afin que les bénéfices puissent aller dans les poches des patrons et des actionnaires de ladite marque, aux États-Unis surtout, et éventuellement ailleurs pour ceux qui détiennent des actions de Ford…
Pourtant, je pensais que le libre-échange supposait que soient éliminées les barrières à la saine concurrence entre les entreprises; que le citoyen consommateur puisse accéder sans restriction aux meilleurs produits et services (fruit d’une compétition sans tricherie), au meilleur prix (pas de subventions cachées). Erreur de mon prof d’économie? Aurais-je mal compris ce qui m’a été expliqué en cours, au secondaire? Même si cela date maintenant de plus de 20 ans, les lois économiques qui gouvernent notre vie ont-elles changé?
Il y a évidemment une autre possibilité, dont je ne parlerais pas, moins sympathique pour nos dirigeants. M.Couillard et ses ministres en sont les parfaits exemples. Double langage, double visage, mais toujours même collusion et fonds de commerce. Après tout, les libéraux sont au pouvoir depuis 2004, sauf les 10 mois de pause péquiste du gouvernement Marois. Malgré les petits cadeaux que son dernier budget nous fait (quelques centaines de millions de dollars étalés sur 5 ans par-ci par-là), selon notre premier ministre et son acolyte Leitao, il faut rester vigilant quant à la situation économique, surtout avec la variable Trump; il faut être lucide et économe, bien gérer notre budget, avec intégrité. Or, il ne semble pas être trop incommodé que le fruit de notre travail, nos impôts, ont financé à hauteur de 3 milliards (incluant l’investissement de la Caisse de dépôt) une entreprise qui a licencié en 2016 plus de 14 000 personnes, dont 4000 rien qu’au Québec, pendant que ses dirigeants s’arrogeaient une hausse de 50 % de leur rémunération? Dans le même temps, Bombardier affichait un déficit de 981 millions de dollars. Ah, mais attention, en tant que simple « investisseur » (dixit Couillard), on ne peut critiquer les choix de l’assemblée des actionnaires d’une entreprise privée! Non, les dirigeants de Bombardier sont clairement « à l’écoute de la communauté ». C’est vrai, qu’est-ce qu’un investissement, sinon la preuve que l’on croit assez dans les qualités d’une entreprise pour vouloir l’aider à déployer son activité, afin qu’elle crée des emplois, de la richesse et contribue à son tour au progrès de la société? Là encore, la mémoire que j’ai de mes cours sur les théories économiques libérales doit me jouer des tours… Quoi penser? Tout cela n’est-il qu’un signe des temps ou bien est-ce là une tare de plus chevillée à notre « trop humaine condition » (Montaigne)?