ÉDITORIAL
Le télétravail : une pratique discutable
L’Europe l’applique à nouveau drastiquement. Les États-Unis n’y reviendront pas. Et nous sommes entre les deux. Je parle bien sûr du confinement. Et avec lui du télétravail. En fait, cette pratique a connu une progression sans précédent depuis mars dernier. 60 % du personnel provincial restent actuellement à la maison et une personne sur cinq pourrait ne jamais retourner au bureau. 62 % des entreprises canadiennes permettent cette pratique. Et chez les fonctionnaires fédéraux, c’est 100% !
À première vue, le télétravail est une bénédiction, tout le monde s’accorde pour en convenir. Notamment sur les dépenses des ménages : moins de repas à l’extérieur et moins de transport. Donc, moins de pollution, n’est-ce pas ? C’est surtout valable dans les villes, où les bouchons sont courants aux heures de pointe. Selon certaines études, le télétravail diminuerait les émissions de CO2 de 3 à 5 %.
Ajoutez-y une semaine de travail plus courte, un temps de travail repensé, pour être plus concentré, plus efficace, alors notre empreinte carbone baisse directement. En 2006, une étude du Centre pour la recherche économique et politique avançait déjà que les États-Unis réduiraient de 20 % leur consommation d’énergie s’ils s’inspiraient des temps de travail en vigueur dans l’Union européenne ; sur une journée de travail, la baisse peut atteindre 6 % ! On peut imaginer que cela s’applique aisément au Canada.
Mais il y a toujours un revers à la médaille. Si près d’un-e salarié-e sur quatre s’y est mis par force lors du premier confinement, accélérant ainsi une tendance lourde des pays développés, on peut toutefois remarquer une ou deux choses. En fait, trois. D’abord, à propos des déchets informatiques et du trafic Internet. Le télétravail oblige les entreprises à renouveler plus vite leur équipement et à s’équiper adéquatement. Zoom, c’est (relativement) bien, mais c’est mieux avec un ordinateur ou une tablette dernière génération. Près d’un tiers du parc informatique doit être changé dans les années à venir. Les déchets électroniques alors générés seront énormes, et très peu de recyclage est effectué. La consommation de données nécessite également des serveurs de plus en plus gros et énergivores, qui dégagent une telle chaleur qu’ils sont stockés en Arctique et contribuent au réchauffement planétaire. Une heure de réunion en ligne par jour pendant 250 jours équivaut encore à 9 km de voiture.
Parlons justement des transports : si le télétravail a réduit en moyenne les distances parcourues de près de 40 % et les déplacements de 70 %, les gens tendent à déménager et à s’éloigner de leur lieu de travail, donc les distances parcourues ensuite grandissent et le fait est que nous utilisons la voiture davantage — au lieu des transports publics — et plus souvent, pour des babioles ou des loisirs. Le bilan carbone est finalement faible, voire nul.
Enfin, certes moins de bureaux, c’est moins de surface utilisée, donc moins de coûts, en particulier dans le domaine du chauffage. Sauf que les salariés, eux, chauffent davantage leur domicile. Selon une étude allemande, la consommation d’énergie domestique a augmenté de 10 %. Et c’est sans compter l’éclairage, la cuisine (ou la commande de plats cuisinés à livrer). Finalement, le bilan du télétravail en matière écologique est plus nuancé que l’on pourrait croire. Et quoi penser de ses résultats en termes de santé mentale ?