ÉDITORIAL
Le voyage des Rois
Depuis une semaine, Je me régale à manger de la galette — ou couronne — des Rois. Vous connaissez peut-être… Il semble que ce dessert soit arrivé il y a peu sur les tablettes de nos boulangeries, ici, au Québec, peut-être sous l’effet de quelque français immigré, qui sait ! Mais attention, si vous allez à La Vieille Alliance, par exemple, seule boulangerie à Aylmer à vendre une telle gâterie, vous ferez face à un dilemme : la « Frangipane », à base de pâte feuilleté et de garniture à l’amande ou la « Bordelaise », plus légère, comme une brioche parfumée à la fleur d’oranger ? Que choisir ? Dans les deux cas, se trouve dans le gâteau une « fève », traditionnellement une « bean », remplacée depuis quelques décennies par un petit personnage ou un objet en céramique à collectionner. Et vous savez quoi ? Celui ou celle qui trouve la fève (sans se casser une dent) doit apporter un gâteau des Rois à son tour. Sympathique tradition, que je vous invite à accompagner d’un thé ou d’un café, à la fin du repas ou pour goûter.
Mais d’où vient donc cette tradition ? En fait, le partage de la Galette des Rois correspond à l’épiphanie, dans le calendrier catholique romain, soit le 6 janvier de chaque année. Le mot « épiphanie » lui-même désigne littéralement l’apparition et en fait toute manifestation du Christ au monde, comme la présentation de JC enfant au temple, son baptême dans le Jourdain ou la transformation miraculeuse de l’eau en vin à Cana. Cependant, la tradition populaire a restreint cet usage à la visite de trois mages venus d’Orient, sans doute des prêtres zoroastriens qui symbolisent le savoir et la science, peu après la naissance de JC. Selon Mathieu dans son évangile, son témoignage, les mages furent guidés par une étoile mystérieuse, aujourd’hui connue sous l’étoile du Berger ; une fois sur place, ils déposèrent devant la crèche de la myrrhe, qui symbolise la richesse matérielle lors des cérémonies funéraires des rois à l’époque, et de l’encens, qui honore les divinités.
Ce récit n’a aucun fondement historique, il a été enjolivé au Moyen Âge, les trois mages sont devenus trois rois prénommés Gaspard, Melchior et Balthazar, et l’un d’eux est devenu noir au passage, pour rendre le message plus universel. Certains y verraient de la pure propagande. La galette serait un ajout venu des Saturnales romaines ; la fève cachée dans le gâteau rappelant l’origine de Jésus, que les mages avaient cherchée, comme vous chercherez le précieux objet en mastiquant. Et le fait que cela s’appelle également une couronne renvoie évidemment à la « royauté » des trois mages.
Ces trois personnages mythiques ont fait un long voyage pour une cause particulièrement noble, dans l’optique d’un croyant : la reconnaissance d’un prophète, du fils de Dieu. Rien de moins. On peut imaginer les dangers qu’ils ont dû affronter, pour le plus grand Bien, d’une certaine façon, faisant abstraction de leur petite personne. Nous aussi avons nos petits rois, qui ont décidé de voyager en temps de pandémie, mais pour leur seul grand bien, sans se soucier des conséquences sur les autres. Nous sommes passés d’une époque où les gens avaient un grand sens de la communauté, de la responsabilité sociale et du sacrifice personnel à une ère d’ultra-individualisme, où seul compte le plaisir individuel. Pitoyable évolution morale.