ÉDITORIAL
Leadership canadien et immigration
Nous sommes tous immigrants, certains plus fraichement, parce que de la première ou de la deuxième génération, d’autres plus anciennement. Ainsi, les « Québécois de souche » descendent des colons européens arrivés entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Pas de quoi pavoiser. Et les Premières Nations constituent certes le premier peuplement humain du continent, mais après que leurs lointains ancêtres aient traversé le détroit de Béring, lors d’une glaciation, il y a environ 13 000.
Bref, nous devrions être sensibles à l’incertitude et à la fragilité qu’entraine l’immigration, ce déplacement naturel et permanent de l’être humain depuis son apparition sur Terre. On dirait cependant que nous l’ayons oublié, que nous ayons écarté cet aspect de notre humanité, au profit d’un autre : la rationalisation du travail et des procédures, en vue d’une plus grande productivité dans notre activité quotidienne de fourmi laborieuse.
Je ne parle pas du racisme – systémique ou pas — ou de la xénophobie instinctive d’un individu face à l’Autre… Je veux ici dénoncer l’absurdité kafkaïenne de notre système d’immigration. Admettons qu’il soit nécessaire de réguler les flux de personnes qui désirent s’installer au pays, la société (vous, moi, la voisine), par l’intermédiaire de nos représentants politiques et de notre administration voulons de l’immigration, pour diverses raisons, surtout économiques, n’est-ce pas? Certains ajouteraient qu’il y a même urgence, compte tenu du nombre de travailleurs qualifiés dont le pays manque cruellement.
La logique voudrait donc que l’on facilite au maximum leur recrutement, leur admission, leur installation, et puis leur bien-être. Or, il n’en est rien, ou si peu. Réfugiés, étudiants internationaux, sans-papiers, travailleurs étrangers temporaires, même combat. Il faut près de deux ans en ce moment pour obtenir la résidence permanente au Québec ! Rappelons-nous qu’un visa de touriste ne permet pas de travailler ou un visa de travailleur temporaire de changer de travail… À partir de là, pas de revenus, pas de logement, pas de quoi se nourrir, où termine-t-on ?
Pire, des familles entières sont en attente d’un regroupement familial qui prend des années, au point que les enfants ne reconnaissent plus leur parent ! Beaucoup des 45 000 réfugiés pour des raisons humanitaires graves, qui ont demandé la résidence permanente, ont dû laisser leurs enfants derrière eux pour avoir une chance d’arriver, de travailler et de vivre une vie décente ; Plus de 51 000 personnes ont le Certificat de sélection du Québec, mais pas la résidence permanente canadienne ; 40 000 étudiants sont en attente d’un statut plus permanent qui leur permettrait de rester vivre ici et contribuer ainsi à l’essor de notre pays. Pour les immigrants déjà au pays, sont scolarisés en général, leurs enfants ont appris la langue, ils ont des amis et sont de fait déjà citoyens…
Mais savez-vous quoi ? Pendant le processus d’immigration, il est impossible de communiquer — par écrit et encore moins à l’oral — avec un interlocuteur particulier. Les communications sont totalement impersonnelles et indirectes ! Les délais de traitement ne sont même plus rendus publics ! Imaginez-vous pendant deux, trois ou quatre années, à attendre le courrier, tous les jours, pour chaque étape du dossier, à compter les jours qu’il vous reste avant de tomber dans l’illégalité et le risque d’expulsion. Nos valeurs en tant que société sont piétinées, la plus simple dignité est refusée à ceux-là mêmes que nous déclarons vouloir accueillir à bras ouverts.