ÉDITORIAL
Les poches des uns, les poches des autres
Ou l’avenir selon St Thomas (Piketty)
L’emploi va mal. Nous ne retomberons pas à 7 % de chômage avant longtemps, et pour une bonne raison : si l’économie a été « mise en pause » délibérément, à l’échelle mondiale, par nos gouvernements et grands décideurs, contrairement aux prévisions, la reprise ne se fera pas immédiatement, comme par magie. Ce sera graduel, parce que la pandémie n’est pas une catastrophe naturelle qui va disparaitre d’un coup.
Mais combien d’entreprises pourront-elles survivre à une reprise progressive et différente, distanciation sociale et matériel de protection obligent ? À ce rythme, d’ici six mois, ce pourraient être 46 % des entreprises qui mettraient la clef sous la porte, selon certains sondages. Une sur deux ?!! Et dans ces conditions, comment les travailleurs au chômage pourraient-ils retrouver du travail ?
Pendant ce temps, les places boursières retrouvent le chemin des bénéfices : les indices de références, comme le S&P 500, ont remonté de près de 30 % depuis le creux de mars. Une sorte d’optimisme a gagné les boursicoteurs, les « traders » et autres investisseurs de tous poils (dont les banques et les fonds de retraite), d’une manière assez peu rationnelle en vérité. On nous dit que les gestionnaires de portefeuille jouent encore de prudence, mais bon, ils vont se débrouiller pour gagner plus, pas de doute. En effet, il y a toujours moyen de profiter du malheur des autres : qui va racheter les entreprises en faillite à un prix dérisoire, d’après vous ?
Thomas Piketty ne dit pas autre chose. Vous avec entendu parler de son grand-œuvre en 2013, Le capital au XXIe siècle ; peut-être avez-vous lu L’Économie des inégalités, plus abordable… et son petit dernier, Capital et idéologie ? Au-delà des nombreux tableaux statistiques et graphiques qui appuient son analyse du système dans lequel nous vivons, évidemment, c’est le message qui ressort le plus : 1. Le système capitaliste néo-libéral, qui gouverne nos existences et dont nous sommes un maillon, est fondamentalement basé sur les inégalités 2. Le degré d’inégalités économique de chaque pays, crument mis à jour par la pandémie actuelle, est le reflet direct des décisions politiques de ses dirigeants (qui peuvent aussi renverser la tendance… s’ils le veulent). Pourquoi la CoVid-19 frappe-t-elle plus durement les communautés les plus pauvres, qui constituent souvent, même dans les pays riches, une majorité de foyers ? Accès aux soins, à une éducation de qualité, revenu, qui a déjà commencé à payer les pots cassés ?
Thomas Piketty, lui, ne se contente pas de promouvoir un changement de système, il en propose un autre, les acquis qui ont suivi les deux guerres mondiales (sécurité sociale, impôt progressif, nouveau droit du travail, droits syndicaux) ne suffisant plus. Il faut et en fait établir de nouveaux critères de décision en matière de gouvernance économique mondiale, tels que remplacer le PIB ou, sur le plan national, favoriser l’accès à la propriété en la diluant et forcer les plus riches à payer plus, développer un système de minima sociaux dans les pays du sud… et rebâtir un contrat social.
Compte tenu des futures crises en gestation, comme celle des changements climatiques, la Grande Question est alors : cette crise sanitaire servira-t-elle de catalyseur pour forcer des changements majeurs qui réduisent les inégalités à l’avenir au lieu de les accroître ?