ÉDITORIAL
Liberté, je crie ton nom!
Avant de replonger dans les élections municipales, me permettez-vous une incartade? Pour toute personne qui s’intéresse aux grandes évolutions sociales, aux destins des peuples, les moments historiques où l’on voit ces derniers émerger, prendre en main leur présent (ou leur avenir) sont fascinants. Vous l’aurez compris, je parle du référendum sur l’indépendance de la Catalogne, en Espagne. À 21h dimanche soir, les agences de presse parlaient de 500 blessés, le gouvernement catalan affirmait avoir réussi à tenir 73% des bureaux de vote ouverts et le gouvernement espagnol continuait de soutenir qu’il n’y avait pas eu de référendum. Mais au fond, peu importe le résultat.
En effet, quoi de plus fascinant que cet instant où un groupe d’individus, une société, prend conscience que sa culture, ses valeurs, son mode de pensée sont distincts au point de transformer cette collectivité en pays? L’histoire de ces derniers siècles nous montre que ces velléités ont souvent conduit à des conflits armés; parmi les derniers en date, le Soudan, plus loin, l’ex-Yougoslavie, l’Érythrée ou, depuis toujours, la Palestine… On peut admirer les mouvements d’émancipation pacifique tels que celui du Monténégro (référendum, 2006), du Kosovo (2008) ou du Soudan (référendum, 2011). À noter qu’en général, dans l’ex-Empire britannique, les transitions vers l’indépendance ont été démocratiques et pacifiques; à cet égard, la France ou l’Espagne n’ont pas la même tradition… Saviez-vous que cette dernière a refusé de reconnaître les Catalans comme une nation et que leur langue devienne langue officielle? Quant à la Russie, elle a laissé filer ses anciennes républiques pour mieux y installer ses marionnettes.
Bon, j’admets qu’il y a des nuances à apporter. Aucune révolution, aucun conflit pour l’indépendance n’est identique; c’est souvent en réaction à un pouvoir fort, voir dictatorial qu’ils sont nés, ce qui n’est pas le cas de l’Écosse vis-à-vis de l’Angleterre ou de la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne… Pour le Kurdistan, on pourrait en reparler. Cependant, dans tous ces cas, le désir de la population reste le même : exprimer une voix commune, éventuellement prendre son indépendance. Et nous devons le reconnaître, le droit d’un peuple à disposer de lui-même est fondamental, sinon à quoi bon des droits de l’Homme?
Je suis franco (québécois) et je suis interpellé, autant que devraient l’être les américains, parce que nos deux peuples ont fait une révolution afin de donner voix aux « sans-voix » de l’ancien régime. Ici, au Canada, il n’y a jamais rien eu de tel. Une rébellion et deux référendums, certes. Alors justement, les Catalans organisent la consultation la plus démocratique qui soit, parce que directe. Applaudissons-les. Ils n’ont pas érigé de barricades, à ce que je sache. Ils ne sont pas armés. Ils exercent tout simplement la même liberté collective essentielle, à laquelle vous tenez autant que moi, celle qui découle de la liberté de conscience, d’expression individuelle.
Dans ces conditions, détourner le regard et se taire, sous prétexte de neutralité, comme le Canada, ou jouer la carte du légalisme en arguant de la constitution, comme les pays de l’Union européenne, s’équivaut : c’est bafouer implicitement le droit, la liberté à l’autodétermination. Alors, comme ça, on serait pour les droits de l’Homme, mais contre une consultation populaire en vue d’une indépendance? Intéressante approche sous la forme du « Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais ». Vous savez qu’il s’agit là d’une approche éducative peu efficace… Dès lors, il sera difficile de brandir les droits de l’Homme à la face des dictateurs de tous poils qui sévissent partout sur la planète. Comment exporter notre modèle démocratique ailleurs dans le monde?