ÉDITORIAL
Loi 96
D’abord, il était évident que je devais en parler. Puis, en l’absence de (grosse) polémique, je me suis ravisé… avant de réfléchir davantage. En effet, le projet de loi 96 est historique, quoiqu’en disent ses pourfendeurs, tout simplement parce que personne n’avait osé toucher à la Loi 101 sur la langue officielle du Québec depuis 1977, date de son adoption par le gouvernement Lévesque.
D’ailleurs, en écoutant les commentaires des partis de l’opposition, mais également des organismes de tous poils qui se croient concernés, on sent bien le sujet sensible. À juste titre : être confronté-e à une autre langue, cela signifie découvrir une autre culture, une autre manière de penser, de voir les choses ; cela nous renvoie donc à notre propre culture. Finalement, rencontrer l’Autre nous pousse à réfléchir à notre propre identité. Situation pas toujours confortable, mais ô combien instructive, qui nous aide à « grandir » ! En éducation, on parle de compétence interculturelle. Cela peut même conduire à l’acculturation, concept effrayant pour certains, qui consiste à se distancier de la vision du monde ou du système de valeurs de la première culture et d’aborder les problèmes anciens sous un jour nouveau. Évidemment, personne ne tient spontanément à « perdre » sa langue, sa culture, parce qu’elles sont partie intégrante de notre identité. Généralement, une réaction de peur apparait — au début — qui peut conduire au rejet, voire à la haine ; ou si l’on vainc cette peur, à l’acceptation, à l’ouverture, voire à l’enthousiasme d’apprendre (une nouvelle langue) …
Le problème réside dans les conditions sociohistoriques, dans le « bagage identitaire » que l’on traine avec soi. Il est en partie personnel, et en partie collectif. Par exemple en Afrique, dans la foulée du grand mouvement d’indépendance des anciennes colonies françaises, a eu lieu dans plusieurs pays un recul important du français, et parfois même sa disparition comme langue officielle et/ou langue d’enseignement. Parler, étudier, penser dans la langue du colonisateur est devenu un acte symbolique et politique impossible pour ces peuples qui voulaient tourner la page. Qui pourrait les en blâmer ?
Ici, au Canada, les Canadiens d’expression française sont historiquement dans une étrange situation : colonisateurs dans un premier temps des peuples autochtones, ils sont ensuite devenus sujets de l’Empire britannique, ne devant la survie de leur langue — donc de leur culture et de leur identité, si vous m’avez bien suivi — qu’au clergé catholique pendant deux siècles, jusqu’à la Révolution tranquille. Malgré les inconvénients de la situation, les faits historiques ont la vie dure : l’utilisation du français est inscrite dans la culture spécifique d’une partie des Canadiens, particulièrement au Québec. Personne ne remet cela en cause explicitement. Dès lors la question est : comment faire en sorte que le français reste cette langue commune au Québec, et parfois ailleurs ?
Il semble évident que 1) sans la loi 101, expression d’une volonté commune et majoritaire à une époque, le français se serait irrémédiablement rabougri ces dernières décennies. 2) sa survie dépend maintenant de notre volonté commune de la garder comme langue principale, officielle. Les lois votées par le parlement sont justement l’expression de cette volonté ; elles permettent de mettre les points sur les i si nécessaire. Et savez-vous quoi ? La constitution canadienne de 1982 permet justement l’ajout de toute spécificité québécoise en toute légalité. Alors pourquoi s’en priver ? Que demande le peuple ?