ÉDITORIAL
Mère Nature, Trump et les Aylmerois
Vendredi dernier, le père d’une amie à ma fille me demandait si je parlerais de Trump dans mon prochain éditorial, enfin, de son annonce de sortir les États-Unis de l’Accord de Paris. Je lui répondis alors que j’évitais de réagir à l’actualité, aux « buzz » divers qui défrayent la chronique. Je préfère prendre un peu de distance, réfléchir, voir si cela en vaut la peine ou pas. Selon moi, l’annonce du président des États-Unis faisait partie de cette dernière catégorie, notamment parce que de toute façon, l’article 28 de l’Accord de Paris prévoit que ce n’est que trois ans après sa date d’entrée en vigueur qu’un pays pourra formellement s’en retirer et qu’il faudra encore attendre un an afin que cela soit effectif. Cet effet d’annonce visait la base électorale de Trump tout simplement. Qu’ajouter?
En revanche, parler de notre relation à la Nature (vous noterez le n majuscule) m’est apparu intéressant. D’autant plus que j’en parlais il y a peu à mes élèves, tout en lisant Vendredi ou la vie sauvage, la version philosophique pour les ados du fameux Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Dans cette mouture, après une grave dépression et une fois qu’il a compris qu’il ne partira jamais de son île, Robinson décide de se reprendre en main. Il repart de zéro et élabore progressivement des lois, une organisation sociale et économique, telle qu’il les a connues avant son naufrage. C’est incroyable, impressionnant… et vain. En effet, un peu plus tard, cette belle société matérialiste, fondée sur l’exploitation (rationnelle) des ressources, va disparaître et il va devoir recommencer, mais sur des bases nouvelles, avec pour compagnon Vendredi, un indigène qui ne fonctionne pas comme lui. Ces deux personnages offrent le portrait de deux visions opposées de la relation à la Nature.
Cette analyse est plus pertinente que jamais. L’humain n’a pas toujours vécu la Nature comme un objet extérieur à lui, ou une simple ressource inépuisable. Selon les époques et les lieux, surtout dans les sociétés traditionnelles, on se représentait davantage comme en faisant partie, d’une manière concrète et pas abstraite, sous des formes plus ou moins spiritualisées ou mythologiques, comme les déesses-mères ou la Terre Mère. Avec l’arrivée de la philosophie dans l’Antiquité, des mathématiques, puis des sciences dans les siècles qui suivirent (Aristote, Descartes, Leibniz, etc.), nous avons successivement conçu la Nature comme vivant (d’où la « biologie »); comme matière animée suivant des lois mathématiques et comme une mécanique dont on peut comprendre et démonter les ressorts. Aujourd’hui, la Nature est devenue un support d’information, avec lequel les généticiens peuvent jouer. Mais dans tous ces cas, elle nous est devenue extérieure et on se fiche pas mal de l’abîmer. La fin ne justifie-t-elle pas les moyens?
Or, nous (vous, moi, David Suzuki, Trump au fond de lui-même), nous ne pouvons plus ignorer que notre mode de vie, notre manière d’envisager la Nature est néfaste. Pour elle, et donc pour nous par ricochet. Pour reprendre l’allégorie populaire ô combien parlante, nous scions la branche sur laquelle nous nous trouvons! Littéralement. Exploitation tous azimuts des ressources naturelles, marchandisation générale de toute chose, y compris de l’humain lui-même, consommation et croissance permanentes et compulsives : notre paradigme, qui prévaut depuis l’avènement du modèle de développement à l’occidentale, n’est pas valable à long terme. L’environnement n’est pas une réalité immuable et l’être humain a déséquilibré les écosystèmes durablement. Même en changeant de paradigme (consommation locale et responsable, énergies renouvelables, aménagement urbain, politique de transport, mode de vie), je me demande s’il est encore possible de changer le cours des évènements?