ÉDITORIAL
Mais que sont donc nos « petits d’hommes » devenus? (1)
Je n’ai pas parlé d’eux à l’occasion de Noël. Bien que je me questionne souvent à leur sujet, j’ai plutôt remis ça aux calendes grecques. Mais une lettre parue dans le Devoir il y a quelques semaines m’a bousculé. Une classe de secondaire a tout bonnement refusé d’étudier 1984 de George Orwell, lorsque l’enseignant le lui a proposé. Motif? Les élèves n’en voyaient pas l’intérêt. Être sensibilisés sur une éventuelle société policière et autoritaire, pourquoi donc?
Les enfants auraient-ils à ce point changé? Première chose étonnante : le prof leur a demandé leur avis. La liste de livres à l’étude dans mes cours, je suis seul à la faire, en conformité avec les deux programmes que j’enseigne (Ontario et Baccalauréat international). Je ne consulte pas mes élèves. Je leur dis d’ailleurs souvent que la classe n’est pas une démocratie. Et si j’avais tort? Ou bien sont-ce ces mêmes adolescents (qu’ils soient de la génération y, z ou thêta) qui sont à côté de la plaque? Comment vont-ils faire face aux enjeux qui s’en viennent? Il m’a fallu reprendre un peu la distance… temporelle, en revenant dans le passé, pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là.
On en connaît peu sur la place de l’enfant durant la préhistoire, sinon qu’il était l’objet d’attentions particulières (protection, affection). Après la très lointaine époque, il y a plusieurs millions d’années, où l’on vénère les déesses-mères, la société devient progressivement patriarcale; l’enfant vit alors dans l’ombre et sous l’autorité du père tout-puissant. Le respect des ainés va longtemps prévaloir : vers 1750 av. J.C, à Babylone, un enfant qui lève la main sur son père se la voit couper. Parallèlement, il peut être allaité jusqu’à ses trois ans et reste longtemps dans les bras ou sur les épaules de sa mère, qui, elle non plus, n’a pas de droits, tous deux étant la propriété du père. Il peut donc les faire travailler à volonté, les vendre ou les abandonner. Ainsi, on en connaît davantage à partir de l’antiquité, mais la tendance se confirme, les conditions dans lesquelles les enfants sont élevés sont très dures : fort taux de mortalité, abus en tout genre, travail forcé ou sacrifice aux dieux au besoin. Enfant vient de « infans » (en latin), c’est-à-dire celui qui ne parle pas, donc le bébé. Sinon, le terme est « puer », que l’on retrouve dans puériculture ou puéril; après cet âge, on passe directement à l’âge adulte. L’adolescence n’est pas reconnue comme telle.
Avec le christianisme cependant, la vision de l’enfant change. Forcément, le sauveur apparait à l’humanité perdue sous la forme d’un bambin. Le fils du créateur est entouré d’amour, les rois eux-mêmes viennent à sa rencontre pour lui offrir des cadeaux (c’est l’Épiphanie, justement en ce moment : allez chercher une « couronne des rois » — une « Bordelaise » — à la Vieille Alliance, et devenez roi ou reine à votre tour en trouvant la fève!).
Bref, l’enfant est considéré comme l’intermédiaire entre l’être humain et dieu. Au Moyen-âge, non seulement on le baptise, mais on est bienveillant : on l’enferme dans un cocon en l’emmaillotant de la tête aux pieds, afin qu’il ne déforme pas ses jolis petits membres. C’est reposant, il reste tranquille, il ne bouge pas… et il meurt dans sa crasse! Eh oui, ne croyait-on pas que la saleté protégeait des maladies à l’époque? Résultat : la moitié des enfants mouraient avant dix ans. La semaine prochaine : l’enfant à l’époque moderne et post-moderne (pour utiliser un terme de notre temps).