ÉDITORIAL
Merci Camille Laurin!
Si je ne crois pas au hasard, je crois par contre au télescopage des événements. Par exemple, l’anniversaire des 40 ans de la Charte de la langue française, le projet de loi ontarien sur une université francophone et le sondage retentissant sur cette fameuse loi 101.
En réalité, j’avoue qu’il y a au départ un constat concret : j’ai observé que l’anniversaire de la loi 101 n’était pas vraiment un sujet de discussion autour de moi. Surpris d’abord, j’ai réfléchi ensuite. Cette loi ferait-elle à ce point partie du paysage socioculturel québécois que les gens n’y pensent plus, ne ressentent pas le besoin d’en célébrer la naissance? Ou au contraire, est-elle taboue et mes concitoyens préfèrent-ils l’oublier, ne pas l’évoquer, pour ne pas remuer les vieux démons? Il est vrai qu’elle fut en partie la cause du départ de 200 000 anglophones du Québec au milieu des années 1970, dans un contexte de grande ferveur nationaliste chez les francophones. Il est également vrai que parler de la langue, revient à parler de la culture, donc de l’identité, sujet sensible s’il en est.
Au Québec, c’est ce que ça a pris pour que le français survive comme langue de la majorité : médiocrement appliquée en milieu de travail, où un programme de francisation n’est obligatoire que pour les entreprises de plus de 50 salariés, notre belle langue commune connaît quand même un certain succès dans l’affichage – et non un succès certain —; quant à l’éducation, il est indiscutable qu’elle a joué un rôle crucial dans le maintien du français, en forçant les allophones à placer leurs enfants dans le système francophone par défaut.
Cela dit, un anglophone peut accomplir n’importe quelle formalité administrative ou juridique au Québec en général; est-ce le cas chez nos voisins? En entend-on parler? S’offusque-t-on? On pourrait aussi discuter de la pertinence d’avoir employé la loi et la coercition pour imposer l’usage d’une langue, de son efficacité; montrer des sondages qui soutiennent que les allophones ne se sentent pas intégrés à la société québécoise ou feindre de croire que tel qu’il est, le système est suffisant pour assurer l’avenir du français.
Le fait est qu’en avoir fait la langue principale de l’éducation ou du travail était le minimum; imaginez que le français soit seulement la langue que nous parlions à la maison, comme dans bon nombre de provinces au Canada, comme ailleurs au Canada, sauf au Nouveau-Brunswick, où le gouvernement a eu le courage de le placer comme langue officielle, au même titre que l’anglais, consacrant ainsi l’apport des francophones à l’histoire de cette province et la volonté du gouvernement de jouer la carte du vrai bilinguisme. Imaginez : notre langue deviendrait alors un objet culturel muséal, folklorique; « avec grand-papa, on parle français », voilà ce qui nous attendrait – et nous attend peut-être – dans deux ou trois générations. Que voulons-nous? Que voulez-vous?
Je vous pose la question sciemment : 63 % d’entre nous voient un problème à resserrer l’admission aux seules personnes ayant étudié en anglais; en même temps que la moitié des sondés voudrait un renforcement de la loi 101 (sur les lieux de travail et dans l’affichage?), en même temps qu’ouvrir le secondaire et le primaire aux francophones qui le désireraient… Cela paraît contradictoire à tout le moins, ou les gens n’ont pas assez réfléchi.
Et si le Manitoba s’est doté d’une université francophone à St Boniface, pourquoi pas l’Ontario? Les francophones sont certes minoritaires, mais comment promouvoir l’usage du français dans un pays officiellement bilingue comme le Canada, sans que ses citoyens puissent accéder à l’éducation supérieure hors Québec? Faudrait savoir!