ÉDITORIAL
Mickey Mouse Ward
Au Québec, 80 % des spectacles culturels sont faits par des humoristes. Nous aimons rire. Nous avons même une École nationale de l’humour. Mais existe-t-il des critères de qualité en matière d’humour ? Et le bon goût dans tout cela ? Peut-on rire de tout ?
Évidemment, j’aborde ce sujet suite au dernier rebondissement de l’affaire Mike Ward, que je ne connais que par des témoignages et les vidéos que j’ai vues sur YouTube (extraites d’émissions télé ou de ses one-man-shows) : il a été récompensé pour la qualité de son humour par ses pairs, des professionnels des arts de la scène, en recevant quatre Oliviers. Pas un ou deux, quatre (sur les douze distribués). Malgré la controverse et au nom de la liberté d’expression. Ça doit bien signifier quelque chose, non ?
Le comique nait par définition d’un décalage entre ce que l’on attend et ce qui se passe ou ce qui est dit. Pas besoin d’un humoriste pour nous faire rire en vérité : notre vie quotidienne prête parfois suffisamment à rire. L’humoriste, lui, la met en scène par les mots et la mimo-gestuelle ; il choisit de nous tendre un miroir déformant de notre réalité, en grossissant nos défauts, en exagérant nos qualités, en prenant le contrepied de nos opinions. Et avouons que cela peut faire mouche. Cependant, il faut toujours se rappeler le contexte de communication : qui parle, à qui, où, quand, et avec quelle intention. Même dans le cas de la fameuse — et non moins douteuse — blague de Mike Ward à l’endroit de Jérémie Gabriel, on doit garder cela à l’esprit.
Ceci dit, s’il est admis que l’on peut rire d’un travers psychologique, sociologique ou politique, de certaines personnes ou certains groupes de personnes, nous avons plus de difficulté avec l’humour à propos des défauts physiques, peut-être parce que nous pouvons difficilement en changer et qu’ils sont évidemment plus visibles. Se moquer de ce qui se voit facilement, sans réfléchir, est facile, mais c’est de l’humour. Se moquer d’un enfant handicapé est moralement affligeant, mais c’est encore de l’humour. Ces attaques ad hominem, qui visent une personne précise, ne sont pas forcément élégantes, mais on les accepte dans bien des cas. Et comme pour toute œuvre d’art vivant ou performatif, s’il y a des spectateurs pour en rire, alors pourquoi pas ? On pourrait même lui retourner la politesse. Par exemple, nous pourrions nous moquer de lui, parce qu’il est diabétique (type 1, génétique ou de type 2, obésité ?), et s’il a des enfants qui l’ont également, à eux… Pitoyable et inélégant vous trouvez ? Cela dépend de la manière et du contexte…
De ce que j’ai compris de l’humour de Mike Ward, il a une propension à être ad hominem jusqu’à l’autodérision, et il aime provoquer. C’est un peu sa marque de fabrique. Pas de l’humour intellectuel ou politique, jamais d’attaques sur les riches et puissants, mais plutôt sur les défauts personnels. Il remplit les salles avec ça. Acceptons-le et boycottons-le. C’est une manière de respecter la liberté d’expression, dont les limites sont l’incitation à la haine raciale, l’atteinte à la dignité ou la diffamation, qui, elles, sont punies par la justice. Sa blague était pourrie — son ego l’empêche de l’admettre — mais c’était de l’humour. Toutefois, cessons de faire de Mike Ward le porte-étendard de ce droit fondamental.