ÉDITORIAL
« Ô mon païs! »
Chaque année depuis que je suis arrivé, je me pose la même question : comment les Anglo-Québécois célèbrent-ils la St-Jean? Saint-Jean-Baptiste fut un prédicateur juif du temps de Jésus, qui a un temps servi de mentor à ce dernier et l’a baptisé. Il est un de ces prophètes apocalyptiques révérés autant par les chrétiens que par les musulmans. Fait intéressant : la St-Jean-Baptiste est devenue la fête des Canadiens-français à partir de 1834, après avoir été importée par les colons français à leur arrivée sur le continent. Cependant, elle est fêtée ailleurs qu’au Canada, soit dans les pays scandinaves, baltiques et en Espagne. Dans le Bas-Canada de l’époque, la Saint Patrick des Irlandais donna l’idée d’une fête pour les « Canadiens » (y compris anglophones). Plus tard, durant les années 1880, on y associa seulement les francophones (la Confédération était passée par là). Le fameux « Ô Canada » de Calixa Lavallée a été inspiré du poème d’Adolphe-Basile Routhier. Ses paroles en anglais ne furent ajoutées qu’en 1901 et est devenu officiellement hymne du Canada en 1980.
Bref, si je suis entièrement d’accord pour admettre et promouvoir le français comme langue officielle du Québec, je suis également convaincu que le Québec ne pourra se tenir debout qu’avec le soutien de sa minorité anglophone, dont une partie est très francophile en plus. Comme la communauté francophone actuelle, elle est d’origines ethnique, religieuse et socio-économique diverses et remonte au régime français. Son importance démographique a décliné depuis la fin du XIXe, particulièrement à l’extérieur de Montréal, mais est restée forte en Outaouais. Historiquement constituée de catholiques fuyant les Anglais, qui se sont naturellement assimilés, elle devint, après la conquête, davantage anglaise-protestante, avec de l’argent et un pouvoir politique et économique accru. Elle est formée d’une élite dirigeante, loyale à la Couronne britannique. Dès les années 1830, une véritable ségrégation eut lieu au sein des institutions, fondée sur la religion et la langue.
Aujourd’hui, 80 % des Anglo-Québécois vivent dans le Montréal métropolitain. Ils constituent encore une forte minorité de la population québécoise (8-10 %), malgré le départ de 200 000 d’entre eux entre 1971 et 1986. Toutefois, ils sont Québécois, comme vous et moi et toute fête nationale devrait les inclure, me semble-t-il. C’est une question de bon sens. Amalgamer la « québécitude » et la langue française me paraît être un raccourci idéologique de mauvaise foi, qui ne peut mener qu’à la division et la discorde. J’admets volontiers que les valeurs portées par l’une et l’autre communautés ne sont pas toujours les mêmes. Cependant, les opposer n’améliorera pas la situation. Les ignorer n’est pas mieux… Les positions se radicalisent. Leurs salaires ne sont pas plus élevés que ceux de leurs concitoyens francophones. Ils ont perdu le pouvoir qu’ils avaient, mais gardent des institutions qui leur sont propres, notamment éducatives, que les minorités francophones hors Québec leur envient. Leur culture est vivante et reconnue sur tout le continent.
Alors, si nous devons râler contre le caractère unilingue de la fête du Canada ou contre ces équipes sportives canadiennes qui chantent un « Ô Canada » en anglais uniquement (par exemple dernièrement, lors des matchs de Coupe du monde de soccer féminin en France), reconnaissons d’abord notre minorité anglo-québécoise comme part entière de ce que nous sommes, nous, les Québécois et ayons conscience d’être un peu plus canadiens-français.