EDITORIAL
Mort et enterré
Avec le passage du temps les rites de nos sociétés changent. Dans certains cas, nous nous en portons certainement mieux, mais dans d’autres cas, on peut se demander si nous ne régressons pas. Nous pourrions ainsi nous questionner à savoir si nos rites funéraires s’améliorent.
1998 - Après une longue maladie qui a vu sa qualité de vie se détériorer de mois en mois, ma mère décède. Elle sera exposée trois jours au salon funéraire. Chaque jour, du midi jusqu’au soir, mes frères et sœurs sommes tous là pour recevoir la famille et les amis qui viennent chacun à leur tour nous présenter leur condoléances, échanger quelque mots, et se remémorer de bons souvenirs. Le salon était rempli de fleurs. Le samedi, il y a eu la messe à l’église, même si ma mère n’était pas pratiquante, suivi de la procession au cimetière. Ma mère était une personne timide et réservée, mais malgré cela il devait bien y avoir une soixantaine de personnes présentes pour la mise en terre. Nous avons terminé ce rituel avec un léger goûter au sous-sol de l’église.
2009 - C’est au tour de mon père d’aller rejoindre ma mère. Il ne sera pas exposé, la crémation étant devenu la nouvelle façon de faire. Son urne est restée deux soirées au même salon funéraire où défilent quelques tantes, oncles et amis. Il y a un bouquet de fleurs à l’avant de la salle. Au troisième jour, nous récupérons les cendres pour les répandre dans son jardin. Seuls les proches sont là. C’était terminé. Chacun retourne rapidement vaquer à ses occupations quotidiennes.
2015 - Une proche amie perd son père. Je l’apprend parce que nous travaillons pour la même entreprise. Le mot se passe rapidement entre amis et nous attendons tous de savoir où et quand aura lieu la cérémonie. Une vieille amie du défunt me contacte pour savoir si j’ai des informations car elle veut aller « payer ses respects ». Je décide donc d’appeler mon amie. Il n’y aura pas de cérémonie me dit-elle. Nous avons décidé de faire cela entre proches uniquement. Dans le cas présent, les proches se limitent à cinq personnes. Les amis et parents éloignés ne seront pas conviés.
Il ne s’agit certainement pas d’un cas unique et rare. Cela aurait plutôt tendance à devenir la norme. Seulement dans la dernière année, j’ai observé trois cas semblable dans mon entourage. Un vieux meurt, on signe les papiers, on le brûle et on passe rapidement à autre chose. Est-ce parce que j’ai déjà un pas dans l’âge d’or que cela m’interpelle? En fait, à mon décès, ils peuvent bien m’enterrer en 24 heures s’ils le veulent. Je ne serai plus là. C’est plutôt pour les vivants que je m’inquiète, ceux qui restent.
Personnellement, j’ai été peiné à deux reprises par cette nouvelle façon de faire. J’ai perdu des amis chers pour lesquels le processus de deuil en compagnie d’autrui aurait été important pour moi. Mais on m’a indiqué que seul la famille proche se réunissait. Pourtant, lorsque ma mère est décédée, cela m’a fait beaucoup de bien de revoir tous ceux qu’elle connaissait. Cela m’a permis de vivre plus harmonieusement ce deuil et d’avoir plus rapidement l’âme en paix face à cette importante perte.
Nous vivons à l’ère du vite, toujours plus vite. C’est la course en avant, tout le temps. Même le deuil est une étape qu’il faut clore rapidement, avec le moins de dérangement possible. Serions-nous en train de rejeter un rituel qui fait de nous des êtres plus sains et équilibrés? Se pourrait-il que nous y
perdions aussi une part d’humanité en nous?
Marcel Leclerc
Commentary