ÉDITORIAL
N de la paresse intellectuelle
Ah ! Radio-Canada a enfin répondu au jugement du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et présenté ses excuses ! Pas trop tôt ! Cependant, si elle reconnait les faits, elle portera en appel al décision, au nom de la liberté de presse, qui découle de la liberté d’expression, qui découle de la liberté de conscience. Toutefois, derrière cet enjeu déjà crucial, se cache une problématique plus profonde.
Mais revenons au fait brièvement : le 17 août 2020, une animatrice a cité à quatre reprises le titre de l’essai de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, lors de l’émission Le 15-18. Depuis, et après enquête approfondie de presque deux ans, le CRTC a estimé que la référence était insultante pour les Noirs, qu’il y avait faute et qu’il faudrait réparation : des excuses publiques et l’engagement d’atténuer l’impact de ce mot à l’avenir, par des avertissements répétés pour un public désormais trop sensible…
S’il y a un certain consensus dans la presse et chez les analystes francophones au pays, qu’en est-il du ROC ? J’ai lu des articles de la presse anglophone, qui donnaient notamment davantage la parole au plaignant, Ricardo Lamour. Il cite l’écrivain et penseur afro-américain James Baldwin. Très bien, mais rappelons-nous que Baldwin a fui le même pays d’où vient cette rectitude morale et essentialiste nommé par plusieurs « wokisme » ; il a fui les États-Unis, où le racisme des uns le dispute aujourd’hui à celui des autres (après tout, centrer sans cesse la discussion sur la couleur de peau équivaut à la maintenir dans un carcan « raciste ») ; il a fui l’intolérance pour la France, chantre de la laïcité et des droits de l’Homme, pour une langue et une culture, dont certains apôtres, noirs et Africains irréprochables (Senghor, Césaire, Damas, Diop) ont retourné le discours raciste et se sont réapproprié le narratif dès les années 1950, en inventant la « négritude », mot-concept absent de la culture anglo-saxonne. N’est-ce pas la preuve d’une fracture culturelle et linguistique que seule la connaissance des deux langues, des deux histoires et des deux cultures pourrait guérir ? L’ignorance est bien souvent mère d’incompréhension ; éduquez-vous avant de critiquer.
Ne devrait-on pas aussi monter aux barricades et réclamer que toute la littérature des siècles passés soit expurgée de toutes les mentions et qualificatifs insultants pour les femmes ? Ce serait sans fin… et absurde. Amis anglophones, que resterait-il aux profs d’anglais dans les écoles secondaires si on leur enlevait Shakespeare ? Pourquoi ne pas arrêter d’écrire sur les nazis tant qu’on y est ? Et pourquoi ne pas s’offenser également du sort réservé aux religions (éléments-clefs de l’identité de plusieurs), notamment dans les émissions humoristiques et dans les caricatures ? Oups ! Mais c’est déjà fait : le clergé catholique a censuré des milliers d’œuvres artistiques au cours de son histoire, on a lancé des fatwas contre Salman Rushdie en 1989, des terroristes ont massacré la rédaction de Charlie hebdo en 2015, et dernièrement aux États-Unis, on enlève des programmes de cours tous les livres qui parlent de l’évolution ou de l’orientation sexuelle.
Oui, je sais, il semble que je mets tout dans le même sac. Je pense simplement qu’il s’agit d’un seul et même phénomène : le déclin des lumières de la raison au profit d’un obscurantisme de la pensée qui nous fait régresser comme société.