ÉDITORIAL
Premier ministre ou représentant de commerce? (2)
Et pendant ce temps (restons dans la veine de mon édito du 7 mars), notre représentant multicartes favori, le premier ministre Trudeau, a visité la Suisse et l’Inde. Je rigole (à peine). Il y a aussi travaillé. À Davos par exemple, avec les 3000 autres grands patrons, grands lobbyistes, grands représentants politiques nationaux et internationaux. Vous remarquerez l’emploi généreux de l’adjectif « grand ». En effet, les plus grands sont là. Il faut être là. Chaque année, en Suisse, au milieu des montagnes. C’est important, nous dit-on. Vous comprenez, ces gens voient grand, ils sont nos leaders. Alors, ils ne manqueraient ce rendez-vous pour rien au monde… Mais pour quoi faire déjà? C’est là où c’est moins clair pour le simple citoyen consommateur postmoderne que je suis.
Premièrement, nommons les choses. Il s’agit du Forum économique mondial (FEM) de Davos. Depuis 1971, cette petite commune, équivalente à Aylmer par la taille, devient pendant trois jours le centre mondial de l’économie. L’organisation à but non lucratif qui l’a créé est financée par les plus grandes entreprises et groupes industriels, qui eux sont à but lucratif. Imaginez le coût de l’adhésion à ce « forum » (littéralement « place où les citoyens se rencontrent »), qui est en fait un club de riches... Supposément « impartial », « indépendant » et « paritaire », cet organisme est en fait dirigé par 23 personnalités triées sur le volet, dont six femmes seulement, telles Christine Lagarde, la présidente du Fonds monétaire international.
Pour y participer, il faut être invité. Effectivement, s’il y a discussion, l’objectif premier est de s’entendre sur les grandes directions économiques à venir, pas de confronter les opinions ou d’amener un débat contradictoire. C’est pas une démocratie quand même! Le but est de promouvoir un modèle de management économique largement inspiré du modèle américain. Mais officiellement, la fondation œuvre à « améliorer l’état du monde » (article 3 de ses statuts officiels) en cherchant les solutions aux grands problèmes… Cette année : « construire un avenir commun dans un monde sujet à de multiples fractures politiques, économiques et sociales ». Vous êtes inspiré(e)? Cependant, depuis 2011, le FEM a pris un virage ; il encourage à « abandonner les excès du capitalisme pour plus d’engagement social ». Résultat concret? Observez la situation autour de vous.
Ce grand exercice de communication et de masturbation intellectuelle n’est pas à l’abri des contradictions, à l’instar des « invités » qui s’y promènent : 1) pour la première fois, un président américain y participe, alors que son pays n’a jamais affiché plus de fermeture à l’étranger! Il y va pour réaffirmer : « Made in America » et un probable retrait des accords de l’ALENA, à la barbe de ses homologues, qui prônent le libre-échange… 2) toujours avec les mêmes recettes, trouver de nouvelles solutions, comme réduire les taxes (qui servent à payer les services à la population), réduire les tarifs douaniers (comment permettre à nos agriculteurs de vivre décemment, eux qui devraient être nos premiers fournisseurs alimentaires)? 3) ce forum n’est pas social, pas culturel, pas politique. É-co-no-mi-que. Or, on fait des leçons et de grands discours éthiques sur l’égalité hommes femmes, sur la répartition des richesses et, au même moment on n’est pas capable de dénoncer les abus de pouvoir dans les entreprises (comme si cela n’existait que dans le monde du spectacle), ou encore de réduire la pauvreté et les écarts dans notre propre pays… Et nos dirigeants politiques voudraient nous faire croire que l’économie n’a rien à voir avec l’organisation sociale, l’écologie ou la culture?