ÉDITORIAL
« Nous avons besoin de vos dons…
Cette année, plus que jamais… Avec la pandémie… ». J’ai beaucoup entendu cela ces derniers mois un peu partout. Cependant, quelque chose me turlupine. La notion de philanthropie est une chose compliquée à étudier. Sa définition semble pourtant faire consensus : il s’agit d’une action en faveur d’autrui, d’un don (de temps, d’argent, de biens ou de services) qui crée de facto une relation forte entre le donateur (le bienfaiteur) et les bénéficiaires. Mais attention, c’est aussi, dans sa définition traditionnelle, une relation asymétrique, déséquilibrée. En effet, la philanthropie implique justement une forme de réciprocité, un « retour sur investissement », fût-il symbolique. La personne qui reçoit le don contribue à l’élaboration du processus de don. Pourtant, aujourd’hui, on serait tenté de dire le contraire, d’y associer un geste gratuit…
De fait, au fil des siècles, la signification du terme a glissé vers une dimension plus religieuse de charité et de bienfaisance. Au Québec, l’influence de l’appareil religieux a contribué à renforcer ce phénomène ; c’est aussi très présent dans la tradition protestante anglo-saxonne. Disons que c’est culturel. Dans le dernier siècle, la philanthropie s’est sécularisée. Désormais, les deux sphères coexistent dans une belle diversité. On pourrait plutôt d’ailleurs parler de philanthropies : par exemple, celle des abolitionnistes (de l’esclavage), transnationale ; celle des actions caritatives, proches de chez nous, comme le formidable travail au quotidien du Centre alimentaire d’Aylmer ; il y a également la philanthropie des grandes sociétés de recherche scientifique, pour une meilleure compréhension des maladies ; l’action humanitaire locale, régionale ou internationale. Aujourd’hui, les ONG se sont multipliées et couvrent des besoins multiples, généralement essentiels (santé, éducation, alimentation, habitation), mais leur action masque souvent une certaine faillite des états. Pourquoi ?
Eh bien, si l’on y réfléchit, comment se fait-il que de nos jours, dans nos sociétés si avancées, où beaucoup s’offrent des consoles de jeu à 400 $ ou 500 $, un cinéma maison pour le décuple, on accepte encore d’avoir des voisins qui vivent dans des conditions de vie dignes de l’époque industrielle, ne mangent pas à leur faim ou ne peuvent même pas acheter le matériel scolaire minimal à leurs enfants ? Et pourquoi devrions-nous, nous les citoyens qui payons déjà des impôts, donnons quelques sous à l’entrée de l’autoroute à des sans-logis à chaque passage, parrainons plusieurs enfants africains, avons déjà deux ou trois prélèvements automatiques pour divers organismes caritatifs, faisons du bénévolat ou laissons régulièrement des denrées à la sortie du supermarché pour la banque alimentaire, pourquoi devrions-nous donner davantage ?
Si l’on accepte l’idée que la mission des états est de rééquilibrer les chances, compenser les injustices naturelles, celles de la jungle et de la loi du plus fort, pourquoi ces mêmes gouvernements, celui de la ville, de la province ou du pays tout entier, ne suffisent-ils pas à combler les besoins ? Personnellement, je ne vois pas moins de belles et grosses voitures, pas moins de belles et grosses maisons, pas moins de matériel high-tech et de concitoyens suréquipés électroniquement. Tout cela a bien un prix, pourtant. Tous ces gens, vous, moi, eux, sont-ils pauvres ? Où passe la richesse créée par un système qui devrait profiter à tous, mais en réalité bénéficie vraiment à une minorité et laisse sur la touche de plus en plus de nos concitoyens ?