ÉDITORIAL
Nous sommes, nous serons
Samedi après-midi dernier, j’étais à quelques encablures de la scène, à côté du monument dédié aux « droits humains ». Ce jour-là, j’étais franco-ontarien par solidarité, bien que né en France et habitant au Québec. Les coupes opérées par le gouvernement conservateur de Ford ne concernent pas uniquement nos voisins : bafouer les droits à la scolarité des Francos de l’Ontario revient à donner un signal aux autres provinces. Or, le sort d’une culture francophone historique, qui se décline de multiples manières à travers le continent, est déjà assez précaire. Elle est naturellement vouée à se diluer dans l’océan anglophone ambiant; au mieux ravalée à une tradition folklorique ou à une minorité parmi les autres.
Première surprise : le nombre de personnes – officiellement, près de 14 000 personnes, tous rassemblements confondus, à travers la province. Tout le monde semblait impressionné. Une foule de bonne humeur et pleine de ferveur. Ford n’a rien fait d’autre que de revigorer le mouvement franco-ontarien au lieu de l’asphyxier. Émotionnellement, c’était très fort. Je déplore que cette fierté ne se fasse pas sentir ou entendre au quotidien : combien de Franco-ontariens parlent-ils spontanément en français dans leur vie de tous les jours, sortis de la maison ? Des décennies d’assimilation plus ou moins forcée sont passées par là.
Deuxième surprise : la brochette de personnalités publiques, surtout politiques, qui sont passées sur scène pour exprimer leur appui sans faille à la cause. Les élus municipaux, provinciaux, fédéraux, des deux côtés de la Rivière et tous partis confondus ; une délégation entière multipartite venue de l’Assemblée nationale du Québec ; la ministre de la francophonie provinciale, Nadine Girault ; fédérale, Mélanie Joly; des représentants des communautés acadiennes et des maritimes… Incroyable! Tous au diapason, très vindicatifs. Mais pourquoi au fond ?
On peut comprendre l’insulte que constituent les mesures du couple Ford/Mulroney, pour tout francophone sur un plan personnel. On peut également saisir la portée symbolique du geste : les Franco-ontariens ont un droit constitutionnel à leurs écoles primaires, secondaires et à leurs collèges. Et pourquoi pas à une ou plusieurs universités ? Au Québec, les anglophones n’en ont-ils pas trois ? Se peut-il que de la part des défenseurs du bilinguisme canadien, il y ait dans ce débat un autre enjeu ? Pour la minorité anglophone du Québec par exemple ? À un an des élections fédérales, les libéraux de Justin Trudeau y trouveraient-ils quelques gains ? Parce qu’à voir l’ovation de la foule présente samedi dernier, les Francos ne risquent pas de voter conservateur-progressiste avant longtemps…
Plus largement, je m’interroge sur notre identité en tant que francophone au Canada : le temps est largement fini des Francos blancs et catholiques ; cette francophonie historique, qui a contribué à faire de l’Amérique du Nord ce qu’elle est – y compris aux États-Unis – est dépassée. Le Franco-ontarien ou le Québécois francophone est bien souvent d’origine africaine ou maghrébine aujourd’hui, force est de l’admettre, et tant mieux pour notre survie. Alors, le rigodon et les vieilles chicanes doivent un peu laisser place à ces jeunes qui s’illustrent à la tête des mouvements de jeunesse francophone à travers le pays. Nous devons les inclure, utiliser leur force vive et leur perspective différente pour donner une impulsion nouvelle à la francophonie. À ce prix-là seulement survivra-t-elle au siècle qui s’en vient. « Nous sommes, nous serons »