ÉDITORIAL
Où on reparle de hausses du salaire minimum…
Il y a ceux qui sont pour, il y a ceux qui sont contre. Avec les statistiques publiées la semaine dernière par l’Institut de la statistique du Québec, le sujet revient en force. Les stéréotypes ont bon dos. Combien de fois avez-vous entendu ou proféré des paroles dénigrantes à propos du salaire des fonctionnaires? Cibles faciles, ils font les frais de notre mauvaise humeur et de nos frustrations économiques et sociales. De vrais boucs émissaires. Or les chiffres démentent nos a priori. L’écart entre les fonctionnaires québécois et leurs homologues du secteur privé se sont réduits. On assiste à un rattrappage ces dernières années. Si les fonctionnaires gagnent 14 % de moins, cela est compensé par des avantages sociaux (régimes complémentaires de retraite, congés plus nombreux, temps de travail plus court – 2 h par semaine, oui, oui, pas plus que ça – sécurité de l’emploi – très relative ces dernières années avec les coupes budgétaires). Bien que les enseignants et le personnel de santé, qui n’ont pas d’équivalents dans le secteur privé, ni les employés des entreprises de moins de 200 salariés (les PME) soient pris en compte, les données sont claires : le niveau de rémunération globale entre public et privé s’équivaut, alors que les fonctionnaires sont de moins en moins bien payés et que leurs « avantages » se réduisent. Mais qui y gagne vraiment?
Par ailleurs, l’écart salarial entre les travailleurs les plus pauvres et les plus riches n’a jamais été aussi grand. Un analyste de la CIBC annonçait il y a peu que les emplois à bas salaire se développaient au pays : 61 % des Québécois gagneraient aujourd’hui moins que la moyenne salariale, contre 58 % il y a 20 ans. Et encore, n’oublions pas que les politiques publiques, en augmentant le salaire minimum, ont amorti les dégâts. En fait, le problème est plus large. L’OCDE a en effet remarqué que dans nos pays industrialisés, le revenu disponible (après impôt) des ménages les plus pauvres a reculé de 10 %, entre 2007 et 2010 seulement; en revanche, ça va mieux pour les ménages les plus aisés dont le revenu a progressé deux fois plus vite. Dans son ensemble, notre société s’enrichit!
Ces deux aspects nous conduisent au troisième enjeu du moment, et pas qu’au Québec : le salaire minimum. Depuis peu, les patrons (à travers leur association, le Conseil du patronat du Québec ou CPQ) sont revenus en force sur le terrain médiatique, en lançant une campagne de presse. Détracteurs d’un salaire minimum peut-être augmenté à 15 $, ils prédisent une catastrophe économique : pour pouvoir payer certains salariés plus cher, les entreprises devraient en licencier d’autres… Comme si cela se passait vraiment comme ça! Pour qui nous prennent-ils? Premièrement, ils oublient de rappeler que les hausses de salaire des 30 dernières années ont juste été suffisantes pour maintenir le salaire réel, compte tenu de l’inflation (hausse annuelle des prix); deuxièmement, la productivité c’est-à-dire l’efficacité au travail augmentait de 35 % dans la même période. Traduction : de la richesse a été créée, au bénéfice de qui? Une hausse du salaire minimum à 15 $ maintenant correspondrait justement à ce 35 %. Intéressant, non? Les études sérieuses, commandées par les patrons eux-mêmes, démontrent que le PIB ne baisserait que de 0,15 % : c’est en deçà de la variation naturelle de cet indice chaque année!
Et puis, supposons qu’il y ait des pertes d’emplois (13 000 selon les études; 20 000 selon le CPQ), est-ce qu’enrichir le million de Québécois le moins bien payés n’est pas une contrepartie appréciable? Ne devrait-on pas être fiers de ce progrès social?