ÉDITORIAL
Ode au journalisme
Aujourd’hui 3 mai, c’est la journée mondiale de la liberté de presse. Paul Wells, directeur du magazine McLeans, modérateur du premier débat de la campagne fédérale 2015, une figure du journalisme au Canada, un professionnel reconnu faisait récemment une parallèle : en 2005, lors de la campagne fédérale, les journalistes avaient un autobus entier qui leur était alloué ; 10 ans plus tard, sous Stephen Harper, ils étaient six. Et aujourd’hui ? Vous me direz : d’accord, et alors ?
Moins il y a de journalistes à qui on parle, plus il y a de chances que l’on contrôle le message, tout au moins sa réception ; et moins s’exprimeront des points de vue variés. Alors que par essence, la démocratie a besoin d’une pluralité de points de vue, qui s’affrontent, contribuent au débat, ouvrent les esprits, proposent des pistes de réflexion, des solutions aux problèmes… Effet collatéral de créer un groupe de privilégiés soigneusement choisis : flattés d’avoir été sélectionnés pour leurs qualités, ils peuvent perdre leur objectivité de journalistes. Dès lors, non seulement l’information qui nous arrive sera plus uniforme, mais peut-être aussi biaisée.
En parlant de cela, il se passe des choses étranges au royaume de l’information. Depuis quelques années, tout le monde peut mettre en ligne son opinion (ou presque) par les réseaux sociaux, les pages personnelles, les blogues, ou même les grands noms de la presse laissent une place notable sur leur interface web aux blogueurs de tous poils, presque traités d’égaux à égaux avec des journalistes professionnels. Cette tendance semble déjà refluer (le Monde — journal de référence français — a cessé d’ouvrir ses pages aux commentaires personnels), les lecteurs eux-mêmes ont protesté, parce qu’ils estiment subir une sorte de « pollution », qui entrave leur accès à une information neutre, fournie, pertinente, vérifiée.
Attention, les organes de presse ont également leur part de responsabilité, dans un environnement à la compétition grandissante. En effet, ils nous parlent d’une « information continue », comme si c’était la panacée. Voulons-nous réellement être informés 24 h sur 24 h ? Effet pervers de cette démarche : une nouvelle a une durée de vie de deux heures sur les réseaux actuels. Les journalistes doivent donc alimenter sans cesse cet ogre par de nouvelles informations au format bref, facile à comprendre. Comment peuvent-ils vérifier l’information ou approfondir leur investigation dans un délai si court ? Dans la même veine, les formats de reportage aux informations radiotélévisées sont passés de 2 minutes et 20 secondes, à 1 minute 40 ; les interviews qu’ils contiennent de 22 secondes à 7 secondes ! Que voulez apprendre ainsi ? Nous donne-t-on vraiment les moyens de comprendre ce qui se passe autour de nous ?
C’est pourquoi nous avons besoin de journalistes d’investigation, d’émissions documentaires qui traitent longuement du fond des problèmes. Nous avons besoin de journalistes dédiés, respectés, à qui on laisse faire leur travail, sans chercher à les bâillonner. Les journalistes sont consubstantiels à la démocratie, à la liberté de conscience et d’opinion. Comment se forger une opinion juste si l’on est mal informé ?
Malheureusement, aujourd’hui, les journalistes sont des cibles, au propre comme au figuré. L’opinion publique les amalgame souvent aux paparazzis, aux magazines people. Dans les démocraties telles que le Canada, il arrive de plus en plus que l’on ne réponde pas à leurs questions ou que l’on n’autorise aucune question en conférence de presse ! Dans d’autres pays, c’est pire : à ce jour, depuis le 1er janvier 2016, 110 ont déjà été tués (67 journalistes ou reporters officiels), 147 emprisonnés. Respectons cette profession si essentielle à nos démocraties.