ÉDITORIAL
Oh, Canada!
Parfois, il ne faut pas se fier aux évidences. Ainsi le 150e anniversaire du Canada et le 1er juillet comme fête « nationale », alors que nous sortons d’une autre fête « nationale » (québécoise cette fois-ci). Déjà, nous parlons là d’une nation à l’intérieur d’une autre nation, binationale alors? Le concept intéresserait les sociologues ou les historiens… le mot « nation » n’ayant même pas de définition juridique!
En tout cas, au Québec, nous avons célébré la tentative d’indépendance, la rébellion du Bas-Canada en 1837… Aux États-Unis, la fête nationale est le 4 juillet, en référence à la déclaration unilatérale d’indépendance de 1776 face à l’Angleterre, plutôt que la date du traité de Paris, qui mettait fin à la guerre en 1783. En France, le 14 juillet renvoie au jour de la prise de la Bastille (prison de Paris contenant seulement 7 détenus à l’époque) par les révolutionnaires en 1789. Encore un autre symbole, celui du passage de la monarchie à la république.
Au Canada, nous avons deux célébrations, celle de la reine, fin mai et celle de la « confédération », le 1er juillet. On peut remarquer deux choses à ce propos : 1. Le Canada n’est pas une confédération stricto sensu, c’est-à-dire une « association d’États indépendants qui ont délégué l’exercice de certaines de leurs compétences à un pouvoir central constitué par un organisme de coordination dont presque toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité des États membres ». Cela nous ressemble-t-il? 2. Nous ne célébrons pas notre indépendance, qui a été officialisée le 11 décembre 1931 par la loi britannique (dite du Statut de Westminster), mais qui, de fait, aurait débuté entre 1919 et 1931. Et puis, même notre premier ministre clame que l’acte fondateur de l’identité canadienne est la bataille de Vimy (1917), grâce à laquelle le Canada a pu signer le traité de Versailles (1919), mettant fin à la Première Guerre mondiale. Donc le Canada serait né en France, ce qui est assez ironique, et surtout, le Canada n’existait pas en 1867!
En effet, souvenons-nous que les troupes anglaises occupaient encore la citadelle de Québec à cette date, qu’il n’y avait pas d’armée canadienne, pas de représentation diplomatique canadienne à l’étranger, etc. Tout au plus pouvait-on alors parler d’une « autonomie coloniale » qui avait pour but de faire taire les élans patriotiques, du Bas comme du Haut-Canada, d’ailleurs. L’Acte d’Union de 1840 diluait déjà le pouvoir de la majorité francophone du Bas-Canada; le fédéralisme ajoutait un encadrement supplémentaire à toute velléité d’indépendance, que le renouvellement constitutionnel de 1982 (le rapatriement de la constitution) est venu achever.
Conclusion : tout pays cherche à se constituer une identité à travers un choix politique d’événements et de dates historiques qui la constituent, le plus souvent symbolique… et subjectif. Ne soyons donc pas dupes : on veut nous convaincre qu’objectivement le Canada est né en 1867, alors que les premières nations ne sont toujours pas incluses dans les nations fondatrices du pays – bien qu’elles aient sacrifié leur lot de vies dans ce processus — et que le français perd chaque jour du terrain d’un océan à l’autre.
Le plus bel emblème de ce 150e n’est-il pas finalement ce magnifique sandwich 100 % canadien, spécialement crée par Ricardo, et que vous avez peut-être pu déguster lors du « Grand Barbecue de poulet canadien » (CQFD) au Parc Major? Excusez-moi de paraître cynique, mais au fond, mon impression est qu’à une époque où règne en reine l’économie les fêtes du 150e ne sont qu’une occasion supplémentaire de nous faire consommer, qu’une marque de plus à vendre.