ÉDITORIAL
… Para bellum
Combattre, courage, arme, bataille, allié, ennemi, déclarer la guerre, longue, implacable, sournoise, dangereuse, sanglante, mortelle, dévastatrice, totale, planétaire ; une guerre qui éclate, sévit, fait rage, déchire, détruit, fait des victimes, des morts, s’intensifie, décime, désole, ravage, épuise, ébranle, anéantit. Avez-vous écouté nos dirigeants politiques ? Je n’aime pas le vocabulaire guerrier. Surtout employé hors contexte. J’estime que c’est une manière d’instrumentaliser les individus en leur faisant peur, une sorte d’outil lexical malhonnête dans les circonstances, même si l’intention de départ est louable : nous insuffler courage et détermination face à une situation risquée.
Mais ce n’est pas nouveau. Nous utilisons tous des métaphores guerrières. Par exemple, le verbe « zapper », apparemment inoffensif. Chacun le fait en permanence devant son écran, sans penser qu’en anglais, « to zap » signifie « tuer, détruire », que c’est le mot employé pour éliminer une cible en la bombardant. Et que dire de la manie qui s’est répandue d’« impacter » à tour de bras ? On n’entend guère de bulletin d’information ou de rapport officiel sans cette expression. En français, lorsque le verbe n’existait pas encore, on parlait d’impact de foudre ou d’impact de balle ; l’emprunt à l’anglais est passé dans le langage courant, d’accord, mais cela reste un mot de la guerre.
C’est surtout dans le monde du travail, particulièrement dans le commerce, que le lexique est devenu de plus en plus guerrier : aujourd’hui, il faut « attaquer » les marchés, pour les « conquérir », ou au moins les pénétrer… grâce à sa « force » de vente… qui doit évidemment être « agressive ». Pour cela, il faut définir des « cibles » (commerciales) et même des « cœurs de cible » (i. e nous). La vie politique n’est pas en reste, puisqu’il y est toujours question de bataille, de combat, de tactique, de stratégie et même de feuille de route… La chose ne doit pas surprendre, car, dans les deux cas, il s’agit bien de lutte, de lutte des classes. En fait, la CoVid-19 a touché un point sensible : l’économie et la finance, et pas d’ici 2030 ou 2050, non, maintenant. Pourquoi croyez-vous que nos représentants à tous les échelons de gouvernement, nos employeurs, nos employés, nous-mêmes soyons prêts aujourd’hui à changer radicalement notre mode vie ? Parce qu’urgence il y a. C’est même une question de vie ou de mort pour plusieurs d’entre nous.
En l’espace de quelques semaines, la pollution au dioxyde d’azote a diminué de 10 à 30 % dans l’est et le centre de la Chine. S’il est vrai que c’est consécutif à un confinement général de la pollution, au ralentissement drastique de l’activité industrielle et économique. Dans plusieurs autres pays qui ont appliqué ce confinement, sans forcément interdire tout déplacement, la vie ne s’est pas pour autant arrêtée ; la population a redécouvert les relations entre voisins, l’entraide, les déplacements à pied, quelques activités physiques de base et saines. Nous sommes en train de redécouvrir que l’éducation et la santé sont des services de base dont on ne peut (et ne veut) se passer, la plupart du temps des services rendus par des gens au statut médiocre dans notre société marchande et ultralibérale, dans des métiers à forte proportion féminine d’ailleurs. Sans nous rendre aux extrêmes, pourrions-nous alors envisager de reconsidérer notre manière de vivre à l’avenir, pour rester en phase avec les vraies urgences du moment, comme l’urgence climatique ?