ÉDITORIAL
Petits salaires, petites vies?
Assez loin de nous, en France, plus d’un million de personnes ont manifesté la semaine dernière contre une vaste réforme du Code du travail (la « Loi Travail ») qui prévoit globalement un assouplissement des conditions d’embauche et de mise à pied des salariés. Pour les Français, cette perte de droits durement acquis par les syndicats au cours du XXe siècle n’est pas acceptable, même si le gouvernement soutient que c’est nécessaire pour résorber le chômage. La pression économique est forte, encourage à la « flexibilité » à la nord-américaine : basses rémunérations, peu ou pas de préavis de licenciement, indemnités de départ réduites – sauf pour les grands patrons. À moins de renforcer la sécurité pour les travailleurs précaires (intérimaires, saisonniers, indépendants, etc.), ce genre d’approche déséquilibre la société et appauvrit une majorité de salariés. Regardez autour de vous.
Par définition, la précarité d’un emploi (comme ne pas savoir si un contrat va être prolongé) n’est pas source de confort psychologique, même si l’on est mieux payé… Alors la différence se joue-t-elle sur le degré de confiance qu’ont les individus dans la société, dans le marché de l’emploi ? Ici, la plupart des gens ont la certitude de trouver un autre emploi assez rapidement ; en France (11 % de chômage, 15 % chez les jeunes de moins de 25 ans), on craint de rester sur le carreau, condamné à toucher l’aide sociale de longue durée.
Parallèlement, la question de l’embauche et de la mise à pied est étroitement liée à celle du salaire minimum. Deux écoles économiques s’affrontent : d’un côté, ceux qui avancent que le salaire est le résultat de l’offre et de la demande de travail, qui s’ajuste selon les fluctuations du marché et des nécessités du moment, quitte à provoquer un rapport de force entre patrons et employés; de l’autre, ceux qui pensent qu’il faut imposer un minimum pour (sur) vivre, voir même pour assurer un pouvoir d’achat décent, parce qu’en fin de compte, la croissance de nos entreprises dépend de ce qui est consommé, donc acheté avec nos salaires (à moins de disposer de quatre cartes de crédit). Les premiers, s’ils ne sont pas satisfaits des conditions de salaire, enverront leur production se faire en Chine, en Inde ou en Indonésie où les salaires sont ridiculement bas. Les autres accepteront le 10 $ de salaire minimum qui se pratique et augmente régulièrement en fonction du coût de la vie.
Je vous fais remarquer au passage que l’on parle souvent de salaire minimum, mais rarement – voir jamais, en Amérique du Nord – de salaire maximum. Personnellement, je trouve cela un peu indécent, et cela en dit long sur notre société, ses valeurs, ses tabous, ses gagnants et ses perdants.
En tout cas, tous les acteurs économiques ont une responsabilité sociale. Plus près de nous, aux États-Unis, chantre du libéralisme et du « cheap labor » (7,25 $ de l’heure), des changements notables voient le jour. Ainsi, l’état de Californie fera progressivement passer le salaire minimum à 15 $! Hérésie, diraient certains, les patrons arrêteront d’embaucher à ce prix-là, le travail va couter trop cher, les prix de vente vont grimper en flèche (la hausse va être transmise à l’acheteur).
Toutefois travailler pour un salaire décent est un droit ; la société doit également mettre en place des structures d’accompagnement pour un retour à l’emploi rapide et harmonieux, tout en protégeant la situation des individus et des foyers, sans que les patrons soient trop coincés par une bureaucratie et des obligations excessives. Bref, un équilibre gagnant-gagnant difficile à trouver, mais ô combien souhaitable.