ÉDITORIAL
Populisme 2.0
Il y a deux semaines, j’avais promis de revenir sur Trump, enfin sur le qualificatif « populiste » qui lui est associé, ce qui le place du coup au même niveau que Poutine le Russe, Erdogan le Turc ou Beppe Grillo, l’équivalent italien de notre Bougon national. Certains parlent même d’une véritable « internationale populiste », comme si tous ces tristes sires s’étaient entendu ou avaient une vision politique à l’échelle mondiale, un plan, alors que le plus souvent, ils ne défendent qu’une forme étriquée de citoyenneté, celle basée sur la nation.
Narquois, on pourrait d’abord remarquer que le terme a pour origine un mouvement politique socialiste dans la Russie des années 1870, qui voulait redonner au peuple les terres agricoles. C’était avant le communisme et le fascisme. Plus tard, au XXe siècle, en Turquie, Mustafa Kemal le laïque ou en Amérique du Sud, Peron, en furent les fers de lance. Les pires dictatures ont souvent commencé par là. Leur point commun à tous? L’anti-impérialisme, l’anticapitalisme, souvent le nationalisme; la négation de la lutte des classes au nom du plus grand nombre, contre les autres, minoritaires (le grand capital, les privilégiés, l’élite politique ou intellectuelle) qui le volent. Plus récemment, comme en Europe, s’est développé un mouvement populiste fondé sur un nationalisme xénophobe, dont le leitmotiv est de garantir un futur radieux… à condition d’en exclure les étrangers. On appelle cela la « préférence nationale » en langage politiquement correct.
Les leaders populistes affichent une foi dans un peuple forcément sain, généreux, disposant d’un bon sens à toute épreuve… et trahi. Y croient-ils vraiment ou sont-ils simplement d’hypocrites flatteurs qui prennent ce même peuple comme un marchepied vers le pouvoir? Chose certaine, ils sont volontiers moralisateurs, nostalgiques d’un passé qui de fait n’a jamais existé. Évidemment, le leader populiste joue à la fois le rôle d’arbitre et de justicier, il a le beau rôle du redresseur de torts en phase avec la population. À ce titre, il est investi d’une mission sacrée (défendre les intérêts des petits) et iconoclaste (contre le système qu’ironiquement il utilise pour se hisser au pouvoir).
Aux États-Unis, Trump n’est pas le premier. Je le comparais la dernière fois au général Andrew Jackson. J’aurais tout aussi bien pu parler du Parti du Peuple (fin XIXe), qui voulait « remettre le gouvernement de la république aux mains des gens simples ». Le président Roosevelt, démocrate, ne se gêna pas d’accuser les « barons voleurs » dans les années 1930, afin de se faire élire; Ross Perrot ou Patrick Buchanan, candidats malheureux à la présidence, en furent également. Aujourd’hui, Donald Trump, demain peut-être Marine Le Pen. Ils ne sont pas forcément de droite, parce que par définition, le populisme n’est pas une idéologie autonome, il est plutôt une composante du discours ou de l’action politique, et se trouve souvent associé à la démagogie, au discours racoleur vis-à-vis de l’opinion publique.
Ainsi, consulter, sonder les gens avant de bâtir un programme politique est populiste; souscrire à la théorie du complot, se faire l’écho du « nous contre eux » est populiste; mettre dans le même sac les journalistes, les politiciens, les intellectuels en général, sous prétexte qu’ils méprisent le petit peuple, est populiste. Tout cela en se moquant des faits, en déformant à dessein les vérités objectives, en attisant la méfiance envers l’autre. À l’heure de la mondialisation, vive le patriotisme! Avec ou sans Twitter, on ne peut s’empêcher de penser à certaines personnes près de chez nous, à ces candidat(e) s qui défendront nos intérêts avant les leurs, c’est promis… à condition de voter pour eux.