ÉDITORIAL
Pot-pourri
Il y a deux semaines, deux militantes de Just stop oil avaient jeté le contenu d’une boite de conserve de soupe de tomate sur la toile « Les Tournesols », à la Galerie nationale de Londres. Argument avancé en public sur la vidéo virale : « Qu’est-ce qui a le plus de valeur ? L’art ou la vie ? ». Une manière d’attirer de façon très visuelle (pensez aux couleurs ainsi associées !) l’attention médiatique, selon ces militantes écologistes. Une manière aussi de rappeler à l’ordre un gouvernement qui veut continuer l’exploitation des hydrocarbures sous prétexte de crise énergétique. Ce n’était pas une première dans la capitale britannique, c’est même un stratagème séculaire. Mais convenons que cela a fonctionné. Heureusement, l’œuvre célèbre de Van Gogh était protégée par une vitre. La semaine dernière, à Berlin, deux écomilitants de Last generation ont lancé de la purée sur « Les Meules », un tableau du peintre impressionniste Claude Monet. Dans les derniers mois a eu lieu une véritable épidémie de « performances », qui n’ont rien d’artistiques, mais sont plutôt politiques.
Vous avez trouvé cela choquant ? Vous ne comprenez pas la relation entre le pot de jus de tomate ou de purée et les œuvres ? C’est tout à fait normal : l’objectif n’était pas d’attirer la sympathie du grand public ou de faire de l’art, il était purement médiatique. D’ailleurs, sur le fond, tous ces activistes qui désespèrent de voir nos gouvernements bouger, changer de paradigme, ont-ils réellement tort ? Certes, nous aurions été désolés de voir le tableau de Van Gogh, d’ailleurs méconnu et ignoré par ses contemporains, abîmé, mais qui se révolte de la disparition de la surface de la Terre d’une espèce vivante (animale ou de plante) chaque 20 minutes ? Et même si seulement la moitié de ces 26 000 extinctions sont le fait de l’activité humaine, avouez que ce chiffre est effarant. Notre indignation collective est pas mal à géométrie variable.
De plus, les musées ne symbolisent-ils pas l’élitisme culturel et les gouvernements, souvent même utilisés par ces derniers dans les relations diplomatiques et pour raconter une version idéologique de l’histoire nationale ? “Les Tournesols” valent aujourd’hui près de 40 millions de dollars, “Les Meules”, 111 millions de dollars. Des prix pour un art seulement accessible à des “investisseurs” privés - princes, magnats de l’industrie, patrons de start-up milliardaires ou traders qui jouent avec nos épargnes - ce 1 % qui accapare 80 % de la richesse mondiale.
Un paquet de gens, y compris moi, en ont ras le bol. On change nos habitudes de consommation, on tente de convaincre nos proches, on manifeste, on se dit qu’en s’impliquant politiquement ou dans des associations, les choses changeront. Mais la situation environnementale et sociale se dégrade plus vite que les états n’agissent… Quel score a fait le Parti vert du Canada aux dernières élections ? Qu’a changé Steven Guilbault depuis qu’il est ministre fédéral ?
L’action perturbatrice est donc une voie possible, quitte à faire ce que Gandhi et sa marche du sel, Rosa Parks et son boycott ou les Baltes en chantant ont fait. Une révolution pour répondre à une crise profonde et injuste de leur société. Alors, bloquer l’entrée d’un site de chargement de pétrole, s’enchainer à des grues sur le point de détruire des écosystèmes cruciaux, faire un sit-in quotidien devant les bureaux de nos représentants politiques, pourquoi pas ?