ÉDITORIAL
Pour une solidarité en éducation
«Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq». Tel le malade imaginaire de Molière, dans la scène 1 de l’acte I, le premier ministre Couillard est un adepte de la comptabilité. Tout, pour lui, se résume à des chiffres et à des économies : il faut atteindre le déficit 0 (qui est lui-même un chiffre). Notre idéal de société se résume donc à un chiffre. Pas un « savoir-vivre » ou un « savoir-être » avec les autres, ou un modèle de société. Non, un chiffre. Le pire est de l’appliquer à la santé ou à l’éducation, qui, par définition, et vous serez d’accord, n’ont pas de prix parce que nous les considérons essentielles au bon développement d’un être humain; parce que ce sont nos enfants, nos parents, nous-mêmes finalement et l’avenir des nôtres que l’on pénalise ainsi; parce que nous croyons dans une société qui prend soin des malades et cultive les qualités de nos jeunes, qui seront les citoyens (éclairés) de demain.
Est-ce donc vraiment ce que nous désirons? Dans ce cas, alors que la population scolaire augmente et que les infrastructures se dégradent, pourquoi accepter de réduire le nombre d’éducateurs, de psychologues, d’orthopédagogues, de conseillers pédagogiques? Pourquoi augmenter le nombre d’élèves par classe dès la 3e année, le nombre d’élèves en difficulté, sans identification ni assistance? Pourquoi accroître les frais des services de garde lors des journées pédagogiques et les frais d’inscription du Cégep? Pourquoi faire disparaitre les postes de direction adjointe ou réduire l’aide aux enseignants accueillant les élèves migrants? À quoi riment des compressions de 500 millions de dollars (sur un budget de 19 milliards)? Cela parait peu en proportion, mais a des conséquences dramatiques sur le terrain.
Quoi faire? Nous pouvons attendre que le personnel des écoles bouge, crie, s’agite, passe de simples moyens de pression à la grève… avant d’encaisser une nouvelle loi spéciale qui le remettra au travail, comme en 2005. Nous pouvons accepter que le gouvernement libéral aborde ces négociations avec une mauvaise foi affichée publiquement (« Je comprends que les gens s’expriment. […] Les opinions sont entendues, mais le gouvernement ne changera pas son mode de décisions selon des manifestations ou des manifestations d’insatisfaction », dixit M.Couillard ) et s’en sorte indemne.
Or, cette fois-ci, des parents se sont mobi-lisés, les enseignants ne sont plus seuls dans la bataille. En effet, le regroupement Je protège mon école publique (JPMEP, voir leur page Facebook) planifie plusieurs actions. La première, vous en avez entendu parler : des milliers d’entre eux se sont littéralement et symboliquement donné la main en formant des chaînes humaines, il y a quelques jours, autour des écoles du Québec. Cela constitue une manière pacifique et citoyenne d’exprimer son mécontentement dans une société où l’expression est encore libre. Et il y en a d’autres…
Le premier ministre Couillard est là encore pour trois ans, mais il devrait arrêter de se draper dans les habits trop grands et quelque peu méprisants d’un « monsieur-je-sais-tout ». Finalement, pour lui, éduquer ou faire soigner nos enfants, c’est comme produire une boite de conserve vendue à l’épicerie ou fournir un service dans un salon de bronzage. Ça a un prix et on veut que cela soit rentable. En vérité, il y a effectivement un coût (financier, social, politique) associé à ces services publics, mais admettons qu’il s’agit surtout d’une conception de la société et de la manière dont l’état contrebalance les inégalités de la nature. En vérité, c’est une question de valeurs.
Didier Périès
Commentary