ÉDITORIAL
Que faisons-nous de nos vieux?
À part les mettre en maison de retraite, médicalisée ou pas, afin de ne plus les laisser polluer notre paysage quotidien, bien que nous ayons occupé le leur pendant tant d’années. À part les laisser mourir chez eux ou dehors, dans le froid, dans l’indifférence générale, sous prétexte de « rationaliser », « restructurer » le système de santé, pour quelques dollars de moins.
Je viens d’une famille ou personne parmi les ainés (arrière-grands-parents, grands-parents, oncles ou tantes) n’a fini sa vie hors de chez lui. Une chance, un hasard? Je sais d’expérience combien il peut être dur, voire impossible, de garder un parent à la maison, même s’il est en santé. À cause de notre vie de fou à courir d’un endroit à l’autre, de nos multiples activités personnelles, de plus en plus importantes au fil des décennies. Qui aujourd’hui accepterait de sacrifier ses loisirs pour s’occuper d’un père ou d’une mère vieillissante? Après tout, que leur doit-on? Juste, la vie, une éducation, des valeurs? Notre bagage génétique ou nos névroses? « Ils ont voulu des enfants, à eux d’assumer, chacun sa vie après tout ».
Nous sacrifions collectivement sur l’autel de nos désirs de « consumateurs » inassouvis ceux et celles qui ont – en partie — fait ce que nous sommes. Une manière d’oublier d’où nous venons, de nous couper de la dimension temporelle de notre existence. Dans cette course – pour ne pas dire la fuite — vers l’avant, nous évitons soigneusement de nous retourner, de peur d’y voir peut-être ce qui nous attend. Après tout, ces vieux – dans mon sud-ouest natal, en France, cette dénomination est affectueuse – c’est nous plus tard. Et nous avons peur de vieillir, n’est-ce pas?
Je me souviens avec émotion des récits de mon arrière-grand-père, qui avait fait la Première Guerre mondiale et avait participé à l’occupation de la région industrielle de la Ruhr en Allemagne en 1918-1919. Le seul voyage à vie pour ce petit agriculteur venu d’un village perdu du Languedoc! Il avait un regard différent sur les choses. Je me souviens avec encore plus d’émotion des péripéties familiales de ma grand-mère, qui perdit un enfant mort-né sous la menace des fusils allemands, un soir de 1944, au bord du canal du midi. Je n’ai jamais eu honte de les fréquenter. Jamais mes parents n’ont-ils envisagé de les mettre à l’écart, de les cacher loin de leur maison. Si certains sont morts dans un lit d’hôpital, ils ont pu vivre jusqu’au dernier moment chez eux, avec leur famille.
Que voulons-nous faire de nos vieux? Depuis quelques années et surtout les coupes libérales, les associations d’aînés somment les partis politiques d’améliorer les soins à domicile et en CHSLD, d’aider les proches aidants – une évidence — sans oublier les revenus, la retraite et le logement. En retour, c’est une farandole quotidienne de promesses, une surenchère permanente d’engagements, qui ne sont pas plus respectés que les précédents. Pourquoi? Parce que ce qui prime, c’est l’é-co-no-mie (la rigueur budgétaire, les indices boursiers, les intérêts des actionnaires et les bénéfices des grands groupes industriels qui règnent sur la planète). Les libéraux ont eu quinze ans pour s’occuper de nos vieux. On voit le résultat. On peut laisser sa chance à Legault. Reste qu’en vérité, c’est d’abord à nous de le faire.