Québec appelé à suspendre le projet de loi 69 suivant le départ du ministre Fitzgibbon
Tashi Farmilo
Le 4 septembre, des groupes de la société civile du Québec ont demandé la suspension des travaux parlementaires sur le projet de loi 69 suivant la démission du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon. Le projet de loi, déposé par le ministre le 6 juin dernier, vise à transformer le cadre réglementaire entourant la production et la distribution d’électricité au Québec, avec des répercussions importantes pour les secteurs public et privé. Alors que l’étude en commission parlementaire du projet de loi était censée débuter le 10 septembre, les groupes sont d’avis que le gouvernement devrait saisir l’occasion pour revoir le projet de loi en profondeur et en dialogue avec la société civile, le jugeant préoccupant à plusieurs égards.
S’il était adopté, le projet de loi 69 aurait des implications importantes pour tout le secteur de l’énergie puisqu’il modifie sept règlements et quinze lois, et qu’il en édicte une nouvelle. Des modifications législatives prévues, celle qui inquiète le plus concerne la mise en place d’un modèle autorisant la production et la vente d’électricité par des producteurs privés directement aux consommateurs. Cette modification, qui s’inspire du modèle albertain, où le secteur de l’électricité est libéralisé, a pour objectif d’attirer des capitaux privés afin d’augmenter les investissements dans la production d’électricité renouvelable et ainsi accroître la capacité du Québec à accueillir des entreprises désireuses de développer des projets industriels alimentés en énergies renouvelables. Toutefois, les groupes soutiennent que cela risque de miner la gestion collective des ressources énergétiques de la province.
Hydro-Québec détient actuellement le monopole de la distribution d’électricité, achetant les surplus d’électricité que les producteurs privés ne consomment pas, ce qui représente 17 % de l’électricité produite au Québec. Le nouveau projet de loi permet aux producteurs privés de vendre par eux-mêmes de l’électricité à des consommateurs privés adjacents au site de production d’électricité. Cette mesure suscite des inquiétudes quant à la privatisation d’une partie du système énergétique de la province. On dit que le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) présente ce changement comme un moyen d'attirer des capitaux privés pour développer les infrastructures d’énergie renouvelable sans engager les fonds publics colossaux requis.
Les groupes de la société civile soutiennent toutefois que ce modèle privilégie le profit au détriment de l’intérêt public, et préviennent que le projet de loi pourrait faire grimper les tarifs d’électricité, exacerber les injustices environnementales et aggraver les inégalités sociales. Selon eux, la volonté de la CAQ de s’en remettre aux capitaux privés pour augmenter les investissements dans la production d’électricité renouvelable reflète les réformes controversées du système de santé inspirées par le modèle de privatisation de l’Alberta. La société Hydro-Québec, troisième plus grande entreprise d’hydroélectricité au monde, dispose pourtant d’une partie des leviers financiers nécessaires pour engager des investissements dans de nouvelles infrastructures ou pour la rénovation des infrastructures existantes. Le fait qu’elle doive remettre à l’État 75 % de ses bénéfices annuels, plutôt que 50 % comme c’était le cas jusqu’en 2008, amoindrit cependant sa capacité d’investissement. De plus, au lieu de mobiliser ces fonds pour faire des investissements structurants, la CAQ entend s’en remettre à des capitaux privés pour financer en partie le plan d’action d’Hydro-Québec, qui prévoit des investissements additionnels de 180 milliards de dollars d’ici 2035.
Les groupes de la société civile opposés au projet de loi 69 insistent pour dire qu’en permettant à des entreprises privées de produire et de vendre de l’électricité de façon autonome sur le territoire québécois, la CAQ empêche la planification de la transition énergétique et l’allocation de cette ressource publique à des fins de viabilité tant écologique qu’économique. La promotion d’un champ d’éoliennes privé, par exemple, est perçue comme une politique énergétique et industrielle de courte vue qui favorise la surconsommation d’électricité. Les groupes allèguent que la libéralisation du marché de production-distribution d’électricité rend difficile la planification publique de la consommation des ressources d’électricité, qui doit avant tout être guidée par des principes de diminution de la consommation énergétique.
Par ailleurs, les groupes indiquent que le projet de loi ne contient aucune disposition assurant l’abandon des énergies fossiles, dont la consommation énergétique québécoise demeure dépendante à 50 %. Au contraire, ils estiment que le projet de loi risque d’enraciner davantage l'approche axée sur le profit qui est à l’origine de la crise écologique mondiale. Ils soulignent la nécessité d'une politique énergétique publique qui réduit la consommation d'énergie et donne la priorité à l'intégrité écologique plutôt qu’au développement économique.
Enfin, les groupes de la société civile demandent le retrait du projet de loi 69 dans sa forme actuelle, insistant pour que le gouvernement tienne d’abord un vaste débat démocratique sur l’avenir énergétique de la province. Ils soutiennent que les orientations du projet de loi n’ont été ni présentées à la population dans la plateforme électorale du parti ni débattues, ayant plutôt été déterminées derrière des portes closes. Les groupes soulignent que ces orientations vont également à l'encontre des objectifs fondamentaux de la nationalisation de l’électricité dans les années 1960, qui avait alors fait l’objet d’un débat public et d’une élection référendaire. Ils proposent d’établir un nouveau plan de gestion intégrée des ressources énergétiques élaboré en consultation avec la population, afin que toute future loi soit conforme aux objectifs écologiques et sociaux du Québec. Tant qu’un tel processus n’est pas entrepris, affirment-ils, tout projet de loi sur la réforme énergétique manque de légitimité et risque de mettre en péril la souveraineté énergétique du Québec et son avenir environnemental.
Les signataires de l’appel à l’action comprennent des organisations environnementales de renom, telles que Greenpeace Canada, Équiterre et la Fondation David Suzuki, ainsi que des organisations syndicales et des associations de professionnels de la santé. Ensemble, ils forment une vaste coalition qui plaide en faveur d’une politique énergétique plus démocratique, durable et contrôlée par l’État pour le Québec.
Trad. : MET