ÉDITORIAL
Qui est « nous »?
Selon la CBC qui l’a produit, le docufiction « Canada : The story of Us », calqué sur ses équivalents américain et australien, couvre les histoires oubliées de notre Histoire collective. Son clip promotionnel est éloquent : la diversité, le respect d’autrui, le sens de la coopération et l’esprit d’entreprise ont bâti notre pays maintenant uni. Œuvre de propagande plutôt, elle est introduite par le premier ministre Trudeau lui-même, qui la récupère en la rattachant à ses propres leitmotivs, tels la diversité culturelle.
Ainsi, on peut y voir une alternance permanente de figures célèbres ou méconnues d’origines différentes, y compris autochtones, que ce soit parmi les personnages ou comme commentateurs. Autant de célébrités du Canada actuels (l’acteur Duane Howard, l’auteure Ann-Marie McDonald, la danseuse Louise Lecavallier, le combattant Georges StPierre, l’ancienne gouverneure générale Clarkson, etc.) ainsi que des architectes, des capitaines d’industrie et des professeurs d’université, des historiens (mais pas Québécois). C’est toute la société canadienne qui est convoquée... ou presque.
Les autochtones ne sont pas oubliés : bien que les 12 000 ans d’histoire avant l’arrivée des premiers européens sont couverts en quelques secondes, une partie de chaque épisode leur est consacrée, toujours du point de vue du blanc cependant. Vous me rétorquerez que c’était cela le Canada de l’époque. C’est ce qu’affirment les auteurs du docufiction : 14 experts des questions autochtones auraient été consultés avant de filmer le plus fidèlement possible la réalité des premières nations de l’époque, d’après ce qu’on en sait.
Malgré l’avertissement de Trudeau en préambule sur les moments les plus sombres que, selon lui, nous assumons aujourd’hui pleinement, le ton est résolument positif. Le Canada va de l’avant : à part de courts passages sur les guerres provoquées par l’établissement du commerce des fourrures par les Français ou la disparition des Amérindiens dès le XVIIe, décimés par diverses maladies apportées par les blancs, tout s’est bien passé. Quid du « Grand dérangement », la déportation des Acadiens par les Britanniques en 1755? Et des coureurs des bois français qui ont bâti tous les forts jusqu’au Pacifique dès la première moitié du XIXe et qui servaient de guide aux colons qui allaient vers l’Ouest, y compris aux États-Unis? Pas un mot. Les entrepreneurs (Hayes ou Bale) y sont britanniques, les chefs d’expédition également (McKenzie), les héros militaires anglais, comme le blond et frêle Wolfe, transformé en beau brun viril. Le seul explorateur français (inévitable) est un Champlain sale, échevelé, dépenaillé. Mais peut-être vois-je le mal là où il n’est pas.
Signe des temps, on consacre beaucoup de temps à faire l’éloge de l’audace commerciale, du sens de la négociation, de la vision économique et industrielle de nos prédécesseurs, ce qui a l’avantage de nous montrer comment l’histoire officielle (du gouvernement et de sa société d’État, CBC) conçoit un Canadien à l’aube du XXIe siècle. Curieux, audacieux, idéaliste, capable de défier le destin, travaillant et entrepreneur altruiste, bref un gars capable de transformer un continent sauvage en une nation forte, riche et ouverte.
Si ce docufiction historique de la CBC, qui vise aussi à être distribué dans les classes, est conforme à la définition officielle de l’histoire, comme un support à « la connaissance […] des itinéraires suivis par les générations précédentes » (Université de Montréal), je m’inquiète un peu de ce que nos jeunes vont apprendre en le regardant. J’ose croire que l’on donnera aussi sa juste place à McDonald, « père » de la confédération, alcoolique, antifrançais et raciste, qui ordonna l’envoi massif de couvertures portant le typhus aux Amérindiens; ce que l’on appellerait aujourd’hui un geste génocidaire.