LETTRE
Réponse à l'éditorial de Didier Périès
Je suis extrêmement déçue de votre éditorial du 10 août 2016, « Tout ça, c’est de l’amour aussi ». En tant qu’ancienne élève, je suis déçue par votre manque d’ouverture d’esprit et de compréhension dont bénéficieraient tant vos élèves et vos lecteurs. En tant qu’Aylmeroise impliquée dans la communauté LGBT+ locale et ottavienne, mais surtout en tant qu’ancienne adolescente en questionnement, je trouve votre texte ignorant et blessant.
Vous vous demandez s’il est « vraiment nécessaire d’utiliser une étiquette pour identifier son orientation sexuelle ». Nous vivons dans une société qui demande à tous, mais surtout à ceux qui sortent de la « norme », de s’identifier pour être reconnus, voilà pourquoi. Ne vous dites pas vous-même « hétérosexuel cisgenre »? Sûrement est-ce fait sans malice, mais en ignorant que vous vous soumettez au même exercice d’identification que moi (lesbienne, cisgenre), vous positionnez l’hétérosexualité comme la norme, ce qui me place dans une position d’autre marginalisé. Il n’y a rien de normal (ou d’anormal) à l’hétérosexualité, ou à la bisexualité, ou à l’homosexualité.
Pourquoi sommes-nous si vocaux et fiers de porter nos étiquettes? Parce que sinon, on assume que nous sommes hétérosexuels. Parce qu’en revendiquant notre appartenance à l’une ou à plusieurs de ces étiquettes, on reconnaît l’histoire de nos ancêtres qui ont lutté et résisté pour nous mener à l’époque plus progressive dans laquelle nous vivons, des émeutes de Stonewall à l’inclusion des personnes transgenres dans la liste des personnes dont la discrimination est illégale au Canada. Parce que je viens de faire mon « coming out » à ma grand-mère, après lui avoir caché mon identité et mes partenaires pendant 6 ans, et que finalement je peux vivre ma vérité ouvertement. Parce que mes amis et moi avons de quoi être fiers : nous avons survécu à nos années d’école secondaire durant lesquelles beaucoup d’enseignants ne taisaient pas les insultes homophobes ou ne les entendaient pas, où la première campagne de sensibilisation contre l’homophobie a dû venir de nous, et où sans les uns et les autres, nous aurions été bien seuls.
Pour beaucoup, les étiquettes existantes sont insuffisantes ou ne s’appliquent pas, donc, on en invente des nouvelles! Qu’y a-t-il de mal à ça? Pour d’autres, peut-être comme vous, les étiquettes sont inutiles et certains choisissent de ne pas en porter du tout. C’est tout aussi valide comme choix, à mon avis. Par contre, on doit se souvenir que nous vivons dans une société qui demande que l’on soit identifiable, reconnaissable, et qu’il est difficile d’exister sans identification. Garçon ou fille, hétéro ou non, il est impossible d’y échapper et ceux qui y résistent se retrouvent souvent victimes de violences. L’ambiguïté de genre perçue dans l’homosexualité par plusieurs n’est toujours pas bien reçue, et chez certains elle suscite des réactions violentes (rappelez-vous tous les meurtres innombrables des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et surtout transgenres, dans l’histoire récente). Je plaide pour la liberté de pouvoir s’identifier comme on veut, en utilisant des étiquettes conventionnelles ou nouvelles, ou de ne pas s’identifier du tout. Peut-être vous joindrez-vous à moi.
En tant qu’homme cisgenre et hétérosexuel, vous n’avez pas à vous préoccuper de tout ça, mais je vous demande de vous en préoccuper. Si vos élèves en questionnement venaient à lire votre éditorial, je doute qu’ils vous fassent confiance, par la suite. Vous pouvez, si vous le voulez, faire une différence dans la vie de ces jeunes et dans la vie de vos propres enfants et de leurs amis. Vous pouvez avoir l’esprit ouvert à des idées différentes qui, ultimement, ne font tort ni à vous ni à moi, et devenir un allié pour vos élèves et pour moi.
En espérant vous croiser dans la foule de la parade de la Fierté dans la Capitale à Ottawa,
Stephanie Meunier
(21 ans )
Aylmer