ÉDITORIAL
Raccourcis historiques
Je ne sais pas trop quoi dire, mais d’autres l’auront probablement remarqué… et voudront y répondre. J’ai l’habitude de lire les bulletins d’informations que Greg Fergus nous envoie deux-trois fois l’année. Comme beaucoup d’entre nous, j’apprécie l’homme, le citoyen, ses efforts sincères, un peu moins le représentant du parti libéral, qui n’a pas vraiment livré la marchandise, mais bon, là, c’est autre chose.
Le texte en première page de sa lettre m’a carrément mis en colère. Il y aborde le « soulagement » que la défaite de Donald Trump a entrainé, chez lui comme chez la plupart d’entre nous. J’y souscris pleinement. Pour amener son propos, Greg Fergus évoque le troisième volet du documentaire sur l’histoire politique du Canada, Champions (Brittain, 1988) qui s’intéresse à P. E. Trudeau et René Lévesque. Et il parle d’un témoignage qui l’avait marqué à l’époque à propos de la défaite du « Oui » au référendum de 1980 ; une défaite qui constitua un énorme soulagement pour le ROC et une majorité d’Anglo-Québécois. Déjà, je trouve l’analogie un peu boiteuse, mais la suite m’a pas mal estomaquée.
Sous couvert de modestie et de soulagement — pas de triomphalisme surtout, comme « après un incendie » (autre analogie digne d’analyse!) — le député libéral enfonce le clou : on a évité le pire, c’est-à-dire « l’ambiguïté morale à l’égard de la violence d’extrême droite du racisme et du sexisme ». Je précise : là, il parle de Trump. Et on ne peut douter de la bonne foi de Greg, n’est-ce pas ?
Ce qui me préoccupe le plus, c’est ce qui s’est passé inconsciemment dans le cerveau de Greg justement. Comment a-t-il pu faire un lien entre la réélection de Trump aux États-Unis — dont les quatre dernières années et la campagne ont été une honte pour la démocratie — et le référendum au Québec ? La tenue d’un référendum pour l’indépendance correspond à une des grandes libertés collectives : le droit d’un peuple à disposer de lui-même! Et le débat qui l’a précédé a été démocratique.
Notre député de circonscription y a-t-il réfléchi ? On pourra toujours arguer qu’il a qualifié Lévesque de « géant de la politique québécoise » dans son premier paragraphe, ou encore que son texte portait davantage sur le sentiment de soulagement, et non sur les aspirations autonomistes québécoises. Toutefois, je crois qu’il pense en réalité comme beaucoup d’Anglo-Québécois et d’autres Canadiens du ROC. Les Québécois (francophones) sont « plutôt » racistes, « plutôt » de droite et « plutôt » intolérants, sexistes, comme en voulant imposer une certaine neutralité à des travailleur-e-s en position d’autorité, par l’interdiction de symboles religieux ou politiques… Cette grande incompréhension, qui relève, me dis-je parfois, des deux grandes solitudes de notre pays, me paraît dans ces moments insoluble, irréconciliable, définitive.
Parce que si quelqu’un comme un député fédéral, éduqué, ouvert d’esprit, issu d’une minorité visible, mais un enfant du pays quand même, en est encore là, alors, que dire du Canadien moyen, comme vous, moi, nos voisins, collègues ou amis ? Ou alors se pourrait-il qu’il y ait derrière cette lettre un calcul politique, comme celui de discréditer les « nationalistes » de tout poil (donc le Bloc québécois, qui pourrait très bien constituer l’opposition officielle à l’issue des prochaines élections) ? Une situation que les libéraux de Justin Trudeau tiennent certainement à éviter ! Un petit coup par la bande pour renforcer l’électorat libéral?