ÉDITORIAL
Restons modestes?
La semaine dernière, un télescopage a eu lieu dans ma tête. Presque simultanément, j’ai entendu une entrevue radio sur la « mode modeste », lu différents textes sur le burkini, dont un d’Elizabeth Badinter et vu notre premier ministre Couillard déclarer qu’il ne laisserait jamais personne s’attaquer à la dignité des femmes musulmanes qui désirent porter un burkini. Abordons (pour une fois) le sujet ô combien tabou de la religion, de l’espace qu’elle occupe dans notre vie, privée et publique!
Deux précisions cependant : 1) autour de moi, les gens n’ont pas du tout l’air préoccupés par ce sujet; ne serions-nous pas en train de crier au loup? 2) Personnellement, je n’en veux à personne, homme ou femme, qui choisirait de se promener nu(e) ou très habillé(e), à la plage ou ailleurs, car oui, nous avons encore le droit de nous habiller comme nous le voulons. Il y a encore quelques années, on chassait les nudistes sur les plages françaises, maintenant, on chasse les personnes trop habillées… Allez comprendre!
Toutefois, les médias en général et les gens qui se croient « tendance » m’agacent passablement : ils mettent de côté la portée religieuse, et donc symbolique, de vêtements portés justement au nom de la religion; et ils jouent le jeu de ceux et celles qui voudraient en faire une sorte de mode, de nouvelle manière de s’habiller. Au-delà du port du burkini (pas mal anecdotique), c’est l’expression « mode modeste » qui me paraît tout à fait significative et trompeuse, contrairement à ce que pensent beaucoup de jeunes musulmanes, qui ne voient là que moyen de lier plaisir et pudeur (se baigner, être à la mode, etc.) ou une nouvelle tendance vestimentaire détachée de la religion. Bref, une expression de leur liberté. Ce qui est juste en un sens. Mais il faut se rappeler que « modeste » n’est pas juste synonyme de simple, mais aussi le contraire de la vanité et de l’orgueil; étymologiquement, « qui se comporte avec mesure ». N’y a-t-il pas derrière cette expression et cette tendance vestimentaire une leçon morale implicite, un jugement sur l’orgueil supposé des non-musulmans?
Et c’est bien cela le problème, dénigrer une personne parce qu’elle s’habille selon ses convictions ou la tradition (wahhabite ou pachtoune dans le cas présent) n’est pas mieux que banaliser ces mêmes vêtements. La manière dont nous nous habillons n’a rien d’anodin. Ne sommes-nous pas en train d’admettre simplement qu’une pratique privée, intime (pratiquer sa religion) déborde sur la vie publique (se promener, travailler, interagir avec ses concitoyens dans le pays où l’on habite)? Au Canada, les gens se regardent dans les yeux, se sourient; ailleurs, c’est parfois impoli. Tout le monde s’adapte… encore faut-il montrer son visage. C’est un simple constat culturel. Pour vivre selon des lois plus strictes, plus morales, plus rigoureuses, il y a des pays à l’environnement adéquat, mais pourquoi renvoyer au visage de nos voisins nos convictions, notre manière de vivre supposément supérieure?
J’ai employé « lois » volontairement, parce que corollairement, une autre tendance lourde de ces dernières années est le développement de l’islam politique, qui vise à ce que les lois publiques – faites pour tous — s’inspirent, s’adaptent aux règles religieuses prescrites par le Coran. On rentre là dans un discours que l’on aurait pu croire dépassé, celui de la séparation entre l’église et le pouvoir politique. C’est préoccupant : les immigrés iraniens, libanais, algériens d’il y a trente ou quarante ans étaient-ils moins croyants qu’aujourd’hui? Pourquoi alors n’a-t-on jamais eu à aborder la question de la place de la religion dans l’espace public avec eux?