LETTRE
------- SANB et Bloc Québécois, dans l’ombre d’Ottawa
L’annulation de la rencontre entre le chef du Bloc et les représentants de la Société de l’Acadie du Nouveau Brunswick (SANB) est un exemple de la relation toxique qui existe entre le trio Québec-Ottawa-Communautés francophones. Ottawa a mis en place à coups de centaines de millions annuellement une structure qui permet de soutenir qu’il est possible de vivre en français partout au Canada : éducation, tribunaux, médias, vie associative, services publics (fédéraux) en français etc. Souvent objectif plutôt que réalité, mais les communautés francophones en profitent et c’est tant mieux. Dans toutes ces provinces le financement de Conseils scolaires francophones a été obtenu, parfois de haute lutte (grâce à des fonds fédéraux et l’article 23 de la constitution canadienne). À la limite Ottawa finance les programmes que les provinces tentent d’éliminer : une école à Kingston, une Université francophone en Ontario etc. Les médias francophones en milieu minoritaire vivent de publicité gouvernementale et de subventions. Par contre les nombreuses associations politiques et culturelles dépendent des subventions de Patrimoine Canada et de la bonne volonté du conseil des ministres en exercice où les députés francophones sont eux-mêmes minoritaires, quel que soit le parti au pouvoir.
Dans ce contexte, s’agissant de la SANB il n’est pas improbable que son président ait d’abord jugé normal et utile de rencontrer un chef dont le parti ne cache pas son intérêt pour la langue française. Un allié à la Chambre des communes ce n’est pas négligeable. Et si son conseil d’administration a fait pression afin d’annuler la rencontre il ne fait aucun doute que ses membres ont compris que l’événement ne pouvait pas avoir lieu dans la discrétion et que leur dépendance financière les exposait à des représailles de la part d’un prochain gouvernement fédéral. La justification officielle : les Acadiens préfèrent se représenter tout seuls. Nous aurons compris que le système, exception faite de quelques programmes marginaux, empêche tout ce qui est Québécois, y compris le Bloc, de s’immiscer ouvertement dans les questions touchant la francophonie dans les autres provinces.
Le statu quo constitutionnel rend très complexes les relations entre le Québec et les communautés dites de langue officielle minoritaire. Ottawa pose en protecteur de ces minorités opprimées par les gouvernements provinciaux. On y dispose de moyens illimités pour ce faire. En cas de litige en éducation il sera question de l’article 23. Si cet article protège les droits des francophones en situation minoritaire, il permet aussi à Ottawa d’appuyer les revendications des anglophones au Québec (lesquels reçoivent déjà 40% des budgets en éducation) et de contester les efforts du Québec pour protéger la langue française sur son territoire. Appelé à témoigner dans ce genre de causes devant les tribunaux fédéraux, le gouvernement du Québec ne peut pas logiquement favoriser l’application de l’article 23 ailleurs sachant que chaque précédent est une arme qu’utilisera sa communauté anglophone pour renforcer ses privilèges au détriment de la langue française. Cette position du Québec est perçue comme un geste hostile envers les communautés francophones pour lesquelles l’article 23 fut et est encore une planche de salut. On ne peut pas reprocher aux communautés francophones en situation minoritaire de se plier aux exigences du pouvoir qui les soutient financièrement et les protège contre des gouvernements provinciaux trop souvent hostiles. Le piège fonctionne, les stratèges fédéraux peuvent se réjouir de cette division qui empêche la francophonie de faire front commun. Mais au-delà des déclarations officielles, on ne peut reprocher à M. Blanchet de rappeler à la communauté acadienne qu’elle peut compter sur la présence du Bloc à Ottawa pour défendre ses intérêts au besoin.
Gérard Laurin
Gatineau (Aylmer)