ÉDITORIAL
Simplement intolérable
Je m’excuse à l’avance de me rabâcher. À l’avenir, je reviendrai à des sujets plus locaux. Je dois cependant pousser d’abord un énorme « coup de gueule », qui suit de près une intense stupéfaction. Le stimulus? L’intervention de Brigitte Bureau, journaliste d’investigation, à l’émission du matin de Radio Can, il y a une semaine. Elle m’a fait hurler, mais pas de rire. De honte et de colère!
Elle présentait une enquête sur les demandeurs d’asile au Canada. Vous me direz : OK, OK, on connait la musique… les réfugiés syriens, libyens, africains et les autres, on en entend parler tous les jours depuis des mois. Et puis, même qu’on aide à en accueillir une famille avec la paroisse, ou le bureau. On a déjà donné. Comme de bons Canadiens que nous sommes, pétris des valeurs d’hospitalité, d’ouverture d’esprit et de sens du partage qui font du Canada le « meilleur pays au monde ». Ô Canada…
Et là, boum! J’étais (presque) comme vous, quand j’ai appris qu’au moins entre 4 000 et 6 000 demandeurs d’asile sont détenus dans des camps chaque année. Pire, comme les deux seuls centres spécifiques à cette belle mission ne suffisent pas, le gouvernement fédéral délègue aux provinces le soin de les garder… dans des prisons! Oui, vous avez bien lu : dans un endroit où l’on place les délinquants et les criminels (voleurs, violeurs, bandits en tous genres et meurtriers).
Qu’est-ce un « demandeur d’asile »? C’est une personne qui cogne à notre porte pour entrer, parce qu’il pense – naïvement – que nous sommes des gens biens, accueillants, prêts à partager nos petits bouts de terre et de bonheur. Il a fait le chemin jusqu’au Canada au risque de sa vie parfois, souvent en laissant tout derrière lui. Et on l’enferme, on le menotte (oui, oui), on le stigmatise comme un criminel! Nos autorités doivent avoir les preuves que ces familles ou individus s’évanouiraient dans la nature, ou qu’ils préparent un crime.
Il semblerait que cela ait commencé avant Harper et continue toujours. Et les chiffres sont assez stables. En vérité, l’enquête de Brigitte Bureau est sans ambigüité : des innocents sont systématiquement emprisonnés pour avoir simplement demandé asile, ce qui d’ailleurs n’est pas illégal en soi.
Pourquoi? Souvenir, souvenir… M’étant un peu intéressé à l’histoire du Canada par le biais de la littérature, j’ai repensé à Spirit Lake, beau roman de Sylvie Brien sur la détention des Ukrainiens pendant la Première Guerre mondiale. Comme les Canadiens d’origine allemande, ces « ennemis intérieurs », furent incarcérés par milliers dans des conditions horribles, dans une vingtaine de camps. Quid des Nippo-Canadiens, pendant la Deuxième Guerre mondiale? 22 000 d’entre eux croupiront dans les 26 camps prévus à cet effet. Femmes, vieillards, enfants, même traitement. Comme aujourd’hui. Je ne donnerais pas le nombre de morts dans chacun de ces cas, parce que ce n’est pas une question de nombres, mais de principes, de valeurs. Et en plus, le « Canada, terre d’accueil et d’immigration », est dans l’illégalité au regard du droit international; le Haut Commissariat aux Réfugiés l’a même épinglé parmi les 12 pays les plus délinquants. Savez-vous quoi? Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale a le culot de rétorquer que tout est fait « dans le plus grand respect » et avec « la plus grande sensibilité ». Franchement, j’ai honte. Il me semble que nos députés fraîchement élus (oui, Messieurs Fortin et Fergus, je parle de vous) devraient monter aux barricades, parce que d’autres solutions existent. Pourquoi ne vous a-t-on pas entendus? L’enquête de Brigitte Bureau peut-elle rester lettre morte?