ÉDITORIAL
Sucre à la crème, gilets jaunes et jobs à la con!
L’autre soir, alors que les flocons virevoltaient sous les guirlandes multicolores, je suis allé au marché de Noël au Parc commémoratif avec mes deux filles. Franchement, c’était féerique. Nous avons fait le tour des kiosques. Elles ont pris quelques photos complices; j’ai discuté avec des commerçants de la région, frigorifiés, mais heureux d’être là, acheté des babioles à plusieurs dans la bonne humeur, et même rencontré un de mes anciens du PEI de Grande-Rivière; nous avons bu du vin chaud du Pontiac, et sommes repartis heureux. Le retour dans le froid mordant s’est fait au pas de course, mais c’était un beau moment partagé. La magie de Noël, quoi!
En cette période de célébrations de fin d’année, on se sent presque obligé d’être heureux; les magasins, les tables et les décors sont dressés comme dans un catalogue; dans les médias, la bonne humeur est générale. La « dictature du bonheur ». La débauche de consommation se fait avec ferveur, systématiquement. À bien y réfléchir, tout le monde y trouve son compte, financièrement. Et quand on s’apitoie brièvement sur les gens dans le besoin, c’est pour mieux nous rassurer. Ce positivisme effréné correspond à une idéologie individualiste : on ne cesse de nous répéter que le bonheur ne dépend que de nous, quoi qu’il arrive. Il n’y a aucune raison de ne pas l’être.
Cela fait partie de l’illusion dans laquelle on nous fait vivre, par exemple, en faisant croire à beaucoup que leur emploi est utile. Samedi soir, ces commerçants, qui ont fait le choix de produire à petite échelle, localement, avec des produits naturels, recyclés et de qualité, étaient satisfaits, parce que leur démarche a un sens. Cependant, nous ne sommes pas tous dans la même situation.
Lisez le dernier livre de David Graeber, Bullshit jobs. Le professeur de la London School of Economics avance que notre beau système néo-libéral a réussi à occuper la population en créant des emplois là où il n’y en avait pas besoin, mais parallèlement, n’a pas réussi à donner suffisamment de sens aux dits emplois. D’où la pression constante et le mal-être, les dépressions, l’anxiété, le sentiment de perdition… et la rage parfois de voir les écarts de salaire, de richesse, de qualité de vie se creuser chaque année un peu plus. C’est toujours la même minorité qui semble en profiter. Le 1%. Mais attention, parfois au lieu de s’apitoyer sur son sort, cette population se révolte, exprime sa rage, pour des motifs apparemment futiles. Par exemple, les gilets jaunes, qui ont réclamé – et obtenu – l’annulation de la hausse du prix de l’essence en France.
L’alpha et l’oméga de notre société, le progrès technologique, ne nous a pas libéré du travail (où est la société des loisirs promise?), mais aliénés, par la multiplication d’emplois sans aucun sens (gestionnaire, consultant, employé de bureau), alors que les enseignants, les infirmières, les jardiniers, les chauffeurs de bus ou les musiciens, eux, font œuvre utile ou créatrice, mais sont dépréciés. C’est le monde à l’envers! Le pseudo-bonheur que l’on nous propose est inatteignable, et donc forcément source de frustration. Alors, gardons notre bonheur simple, même si le sucre est doux-amer. Noël approche certes, mais, gardons les yeux grands ouverts sur la réalité de notre temps.