ÉDITORIAL
Taxe ou taxage?
Trop, c’est trop! Abordons un sujet qui fâche, surtout sur un continent où les gens sont globalement contre les impôts. À l’exception du Québec, de tradition plus française quant à l’intervention de l’état dans la société, les Nord-américains sont méfiants : l’état s’ingère trop dans nos vies, l’état nous ponctionne trop, l’état nous coûte trop cher pour des services inutiles à la population, etc. Les critiques plus ou moins rampantes sont légion. Au fond, rien d’original : c’est la perspective classique libérale, celle de l’état réduit à ses fonctions régaliennes (la monnaie et la sécurité…) et les vaches seront bien gardées!
Aujourd’hui, la situation est explosive quant aux taxes scolaires en Outaouais et à juste titre. Peut-être faites-vous partie des citoyens qui pensent qu’il y a carrément de l’abus. Plusieurs demandent à Sébastien Proulx, notre ministre de l’Éducation, d’interdire aux commissions scolaires de hausser les taxes, ce qui serait, il est vrai, mal reçu par vous (et moi probablement aussi). On parle d’une hausse de 11 % (d’après La Presse du 30 mai 2017)… à moins que cette hausse corresponde à une augmentation des besoins ou à une meilleure qualité des services scolaires donnés à nos enfants. Alors, ce serait acceptable selon moi.
Le problème est ailleurs: depuis deux ans, 20 000 citoyens ont choisi de transférer leurs taxes au système d’éducation anglophone, afin de réaliser des économies, puisque les taxes y sont moins élevées (parfois de 500 $ pour une maison de 250 000 $)! Mes filles vont à l’école francophone, je paye mes taxes qui vont à la Commission scolaire des Portages de l’Outaouais; si elles fréquentaient l’école anglophone, mes taxes iraient à la Commission scolaire Western Quebec. Mais si je n’ai pas d’enfants ou que je n’en ai plus dans le système, parce qu’ils sont adultes, je peux choisir où vont aller mes taxes, vraisemblablement là où c’est moins cher, n’est-ce pas? La loi sur l’Instruction publique du Québec nous le permet.
Première conséquence : pour la Commission scolaire des Draveurs par exemple, un manque à gagner de 1 million de dollars, qui a équivalu l’an dernier à une hausse de 5 % des taxes. La CSPO limite la casse, mais Grande-Rivière vient de perdre un animateur sportif. Deuxième conséquence : la commission anglophone ayant trop d’argent peut baisser ses propres taxes de plus de 23 %... ce qui va pousser encore plus de personnes à lui verser leurs taxes. Incroyable, non? D’autant plus qu’il n’y a pas plus d’enfants scolarisés dans les écoles anglophones. Je me sens personnellement un peu insulté.
Le problème n’est donc pas nouveau. Avec un peu de bons sens, les solutions existent: un fonds commun devrait être créé, dans lequel les personnes sans enfants scolarisés verseraient leurs taxes, de manière à contribuer à la pérennité du système; ensuite, cette manne serait répartie entre commissions scolaires francophones et anglophones au prorata du nombre d’élèves qui fréquentent chaque système. Ou bien pourquoi ne pas donner à l’Outaouais un statut particulier, comme pour la santé ou la taxation de l’essence? Ou encore, interdisons carrément les transferts.
Malheureusement, cela nécessite une volonté, que dis-je un courage politique dont nos députés provinciaux semblent manquer. Auraient-ils peur de s’aliéner le vote anglophone, qui leur est pourtant acquis quoi qu’il arrive? Et laissons tomber l’argument de l’inégalité entre provinces, il y en a déjà tant pour lesquelles rien n’est fait. C’est simplement contraire au principe d’égalité des chances de nos enfants. Aujourd’hui en Outaouais, les parents d’un enfant francophone payent davantage que ceux d’un enfant anglophone pour un même service. Il est urgent d’inverser la tendance.