ÉDITORIAL
Taxi par-ci, taxi par-là
Ici, à Aylmer, nous pourrions être touchés au premier chef par un changement drastique de la réglementation provinciale concernant les taxis. D’abord, en quoi consiste exactement le projet de loi du gouvernement Legault? Principalement, il s’agit d’abolir le système de quotas en ouvrant l’offre de transport de personnes aux entreprises « numériques », telles Uber, Eva ou Lyft. L’idée est de laisser un plus grand choix au client, qui fera la part des choses, forcément, entre prix et qualité du service. Bref, on retrouve le credo du néo-libéralisme économique dans les vertus de la libre concurrence.
Le ministre Bonnardel ajoute que la loi n’ayant pas été révisée depuis cinquante ans, il était temps de la moderniser… et de moderniser la profession elle-même. Le but recherché est également de réduire le fardeau fiscal et administratif des entreprises. Un vieux cheval de bataille de la CAQ, contre trop de paperasse, trop d’administration publique. Ainsi, il ne devrait plus y avoir de « permis de quartier » ou de territoire protégé pour telle ou telle compagnie; la plaque « T » réservée au taxi disparaitrait (elle coûte 1000 $); et l’inspection des véhicules neufs serait abrogée. Les nouveaux prestataires de service ne seraient pas étiquetés « taxi », cette appellation restant réservée. Ces « chauffeurs-locateurs » n’auraient plus à payer les 300 à 600 $ par semaine qu’ils doivent payer… Mais attention, tous – taxis ou pas — devraient non seulement suivre une formation minimale (qu’il reste à définir), mais aussi obtenir un permis de classe 5, réussir un examen et être soumis à des antécédents de casier judiciaire.
Cerise sur le sundae, plus de 800 millions de dollars seront reversés en indemnité par le gouvernement aux propriétaires de taxis. Au départ, l’offre était de 500 000 dollars. Ce sont donc plus de 100 000 dollars par tête de pipe que le gouvernement caquiste prévoit de reverser. Il semblerait que ce soit l’équivalent de ce que coûte un permis… En fait, on sait qu’un petit nombre à leurs débuts l’ont eu gratuit, puis les prix ont grimpé au fil des ans pour atteindre parfois 200 000 dollars. Juste retour des choses cependant, selon le gouvernement, puisqu’une partie de la somme provient des redevances payées par Uber.
Qu’en pensent les principaux intéressés? Ils se disent victimes d’un marché tacite entre nos élus et tous les Uber de ce monde, afin de donner à ces derniers une plus grosse part du gâteau. Selon eux, 22 000 chauffeurs pourraient déclarer faillite suite à l’application de la loi 17. Ces professionnels du transport sont en détresse, et on les comprend, quand on voit le succès des transporteurs numériques ces dernières années. Les taxis y voient donc tout simplement la mort annoncée de leur métier.
Certains ont souligné ce projet de dérèglementation risquait de mettre à la rue de nombreuses familles immigrantes, dont le revenu dépend parfois du travail du père comme chauffeur de taxi. Sans connaitre les chiffres, beaucoup de taxis semblent conduits par des immigrants venus de minorités visibles. Toutefois, le problème est-il vraiment là à long terme? Avec l’avènement des voitures autonomes dans un avenir proche, il semble en réalité que la disparition des taxis, conduits par des humains, soit inévitable. Dans ce cas, le conflit actuel ne serait-il déjà qu’un combat d’arrière-garde?