ÉDITORIAL
Tempête dans un verre d’eau
Il ne faut pas se fier aux apparences. L’affaire SNC-Lavalin en est le parfait exemple. À première vue, le premier ministre Trudeau et son cabinet ont interféré dans un processus judiciaire : laisser SNC-Lavalin être traduite en procès pour des pots-de-vin versés en échange de contrats ou appliquer la nouvelle loi pour un « accord de réparation » (très favorable aux entreprises) : payer une amende évite ainsi ledit procès. Intervention pour des raisons douteuses, d’après l’ex-ministre de la Justice (et chef des procureurs, théoriquement indépendants du pouvoir exécutif), puisqu’il aurait été question des élections à venir, de circonscriptions à défendre, etc. Pire, elle aurait été sollicitée de manière répétée, insistante. Bref, on parle de harcèlement. Ah, j’allais oublier : opposées à Justin Trudeau, nous avons deux femmes amérindiennes, Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott. La situation offre plusieurs facettes (économique, juridique, sociale et éthique), elle est complexe et révélatrice de notre société.
Maintenant, rappelons-nous qu’au départ, SNC-Lavalin, comme toutes les grandes entreprises industrielles, pratique la corruption. Plus les contrats sont gros, plus il y en a, a fortiori auprès des gouvernements dans les pays en développement. Ceux qui vous diront le contraire sont soit hypocrites soit ignorants. Mais veut-on que cette entreprise réponde de ses responsabilités devant un tribunal, comme n’importe qui? Ou bien, moyennant beaucoup d’argent (pour rembourser la société) et l’éviction des responsables, pourrait-elle continuer ses activités… sachant que des milliers d’emplois seraient en jeu, d’après le gouvernement libéral? À ce propos, souvenons-nous qu’un procès ne signifie aucunement mettre la clef sous la porte : la demande est telle dans ce secteur d’activité qu’une compagnie, même en faillite, serait aussitôt reprise, donc les emplois sauvés; c’est le jeu de l’économie. Bizarre que des gens qui prônent la disparition des barrières tarifaires, moins d’intervention de l’état, montrent si peu de confiance dans le fonctionnement du marché.
Mais admettons que SNC-Lavalin mérite d’être « sauvée », où est le problème à ce que des ministres en parlent entre eux? Mme Wilson-Raybould a été contactée en moyenne deux fois par semaine pendant quatre mois pour échanger à ce sujet, alors qu’elle avait pris – sans le dire — la décision en quelques jours de laisser l’entreprise québécoise se débrouiller devant les tribunaux. Sans même requérir d’avis juridique externe et au mépris des recommandations de sa vice-ministre. Elle en avait le droit… Mais parler de harcèlement paraît un peu gros. Et soutenir, comme le font Andrew Scheer et Gérard Delteil, que Trudeau est misogyne et raciste? C’en est risible venant d’un parti qui compte 20 % de femmes dans ses rangs, qui a refusé toute commission d’enquête sur les disparitions et les meurtres de femmes autochtones au prétexte que ce n’était qu’« un phénomène sociologique » interne aux Premières nations, et qui, pour des raisons politiques, a joué avec les règles de droit, en empêchant Omar Kadhr de revenir au pays.
Je ne parle même pas du « Québec bashing» : les provinces de l’ouest récupèrent davantage en péréquation par habitant que le Québec, c’est un fait; et Trudeau, qui a racheté le pipeline Transmountain (au bénéfice de qui vraiment?), a prévu dans son budget de donner aux compagnies pétrolières 1 milliard 500 millions dans la prochaine année. À qui profite le crime? Peut-on enfin revenir aux vraies affaires?