ÉDITORIAL
Tomber de Charybde en Scylla
Les ados en raffolent, plusieurs adultes, peut-être vous, l’utilisent pour réduire leur dépendance à la nicotine. Je parle de la « vape ». Petit retour en arrière d’abord : depuis les premières cigarettes roulées, ce produit « naturel » qu’est le tabac s’est vu modifié au point de contenir moins de tabac que de substances variées (plus de 4 000, dont 80 cancérigènes). La cigarette, fumée directement ou comme fumée secondaire, est devenue un véritable poison. À force de campagnes de sensibilisation, d’éducation auprès des jeunes, tout en taxant le produit, bref en maniant la carotte et le bâton, les pouvoirs publics ont réussi en deux générations à éradiquer l’usage de cette drogue dans nos sociétés de l’hémisphère nord. Incroyable, mais dans les années 1980, des parents fumaient encore la vitre fermée, avec leurs enfants dans la voiture !
Dès lors, l’industrie du tabac, durement atteinte, s’est tournée vers ce liquide qui sert de carburant à la vapoteuse. De fait, la cigarette électronique contient de petits cylindres de taille presque identique à une cigarette mais à la place du filtre se trouve un réservoir (une cartouche) rempli d’un « e-liquide », mélange de propylène glycol, de glycérine végétale, d’arômes artificiels ou naturels ainsi que d’une dose (optionnelle) de nicotine. Si l’on peut choisir le dosage de cette dernière, attention, quelques petits composants (dépendant des marques) sont cancérigènes, tels le formaldéhyde ou l’acroléine. Lorsqu’un utilisateur aspire ou appuie sur le bouton, un dispositif électronique active une résistance qui chauffe le liquide et le transforme en vapeur de 50 à 60 degrés Celsius… comme une cigarette conventionnelle. Donc, pas de combustion, pas de fumée et c’est doux pour la gorge !
Dans ce contexte, ce qui me semble étonnant, c’est que la société croyait s’être débarrassée de sa dépendance au tabac. Or, l’industrie du tabac a réussi à rebondir, grâce à un markéting très efficace. La cigarette électronique est un petit objet, maniable, beau et au look high-tech, à un prix deux à quatre fois moins cher qu’un paquet de cigarettes. Nous avons échangé un mal pour un autre.
Cependant, depuis 2014, quelque 800 études mènent à des conclusions convergentes : l’usage de la vapoteuse entraîne des symptômes de dépendance, augmente le rythme cardiaque, concentre les particules de nicotine dans des lieux clos ou peut exacerber la toux, les sifflements et l’asthme. Si la science ne peut pour l’instant évaluer ses effets à long terme ni affirmer qu’elle présente un risque d’infertilité, de perturbation du fœtus ou cause des maladies cardiovasculaires, une chose est certaine : le cerveau d’un être humain se développe jusqu’à 25 ans environ et jusque-là, il est plus sensible aux drogues ou à l’alcool. La communauté médicale s’entend totalement à ce propos : le centre du plaisir et de la récompense dans notre cortex préfrontal, le « noyau accumbens », s’y habitue particulièrement vite et pousse ensuite son hôte à rechercher par tous les moyens la même gratification. Question de connexion entre les neurones. Dans le cas présent, au détriment d’autres fonctions du cerveau, comme la mémorisation, l’apprentissage, la planification, la prise de décision… Et cette dépendance apparait au bout de 5-6 cartouches de vapoteuse seulement, avec laquelle on peut consommer d’autres drogues en plus. La cigarette électronique constitue un véritable danger. Comment le repousser ? Tirons les leçons du passé : prévention et répression.