ÉDITORIAL
Tous immigrants!
Je me répète. En effet, j’ai consacré récemment plusieurs éditoriaux à la peur de l’autre. Il est naturel d’avoir peur du changement, de ce qui est nouveau, parce que nous le connaissons mal ou pas du tout. Mais laisser cette peur gouverner nos pensées et nos actions et déterminer nos relations sociales? C’est une autre affaire. Or l’autre, l’immigrant, nous est par définition inconnu, a fortiori s’il vient d’au-delà les mers. La peur, la frayeur, la terreur, l’épouvante que nous pouvons alors ressentir sont d’autant plus puissantes. Toutefois, rappelons-nous que nous sommes tous concernés à un degré ou à un autre, parce qu’ici au Canada, personne n’est natif, excepté un autochtone, et encore, même ses ancêtres sont arrivés d’Asie par le détroit de Bering il y a 12 000 à 30 000 ans. Des immigrants eux aussi, quoi!
Personnellement, en tant qu’immigrant récent, je me sens interpellé. De plus, les faits sont rarement mis en exergue et on laisse les gens dire ou penser n’importe quoi. Je me garderais bien de dire que j’ai suffisamment pensé à ce phénomène pour y donner une solution, mais « revenons aux fondamentaux », comme je dis souvent à mes jeunes en difficulté, au rugby, au soccer, au tennis ou en classe.
Il est facile de mettre tous les « migrants » dans le même sac. Pourtant, il existe des termes précis pour des réalités humaines variables et nuancées. Les mots ont leur importance, vous le savez. Ainsi, les demandeurs d’asile ou réfugiés défendent un droit humain fondamental, celui de vivre hors de tout danger; ce qui n’est pas forcément synonyme de guerre… Au Canada aujourd’hui, plus de la moitié des demandeurs d’asile se voient refuser ce statut. Les immigrants, eux, ont fait une demande de visa et l’ont obtenu; certains estiment qu’il faut voir là un privilège. Cela coûte de l’argent et prend au moins un an, un an et demi. Et l’immigrant illégal? Il a enfreint la loi, soit en passant sans demander la frontière, soit en présentant un passeport, se dit-on; il y a de la criminalité dans l’air… Et une personne arrivée comme touriste ou pour travailler saisonnièrement, donc légalement, mais qui reste au lieu de repartir au terme du visa? Elle est aussi immigrante illégale.
Par ailleurs, d’un point de vue philosophique, éthique, il me semble que les contingences matérielles, économiques, démographiques et la peur nous font vite oublier 1) que La Terre n’appartient à personne; nous en sommes locataires, avec quelques droits et beaucoup de devoirs. 2) que la liberté de déplacement, même si elle est limitée souvent en société à juste titre, est un droit fondamental. Et l’altruisme, la générosité et le sens du partage? Notre situation est-elle à ce point dramatique, ici, en Outaouais, au Québec, au Canada, en Amérique du Nord, pour que l’on ait peur de quelques milliers d’êtres humains, avec qui partager notre gâteau? Sommes-nous si peu confiants en nous et en notre société que nous craignons de perdre nos acquis, notre qualité de vie? Viendraient-ils nous prendre nos emplois, nos enfants, notre culture? Pour ma part, je serai prêt à donner une partie de mon jardin, ma cour arrière pour y installer une petite maison qui abriterait une famille d’immigrants.
Ironie de la situation : c’est la même peur qui pousse ces immigrants haïtiens arrivant par centaines chaque jour à Lacolle, et dont plusieurs fuient les États-Unis par peur d’être renvoyés par Trump dans un pays qui reste très dangereux. En attendant que leur demande d’immigration soit complétée et reçoive réponse, on ne peut décemment pas les refouler. C’est un faux débat.