ÉDITORIAL
Être Québécois ou nager entre deux eaux
Fin juin est toujours une drôle de période. Les examens scolaires ou universitaires se terminent, les bals de graduation se succèdent, on célèbre la St Jean, puis une semaine après, la fête du Canada… J’ai l’impression que notre société, en particulier ici, en Outaouais, est tiraillée, à la limite de la schizophrénie. Plusieurs répliqueraient que ce n’est pas incompatible. Voici ma réponse.
Si sentir ou vivre profondément son (ses) identité(s) signifie arborer un petit drapeau, applaudir devant des feux d’artifice et avoir un jour férié de plus dans l’année, ce n’est pas trop difficile. Dollarama, Impératif français et la CCN y pourvoient bien, et à ce compte-là, on peut afficher autant d’identités que l’on veut sans trop se compromettre.
Un fait est certain, dans la plupart des provinces, si l’on demande aux gens : « Qu’êtes-vous en premier? », beaucoup répondent « Canadien ». Au Québec, les gens se sentent d’abord Québécois. Je ne me lancerai pas tout à fait dans le descriptif de ce qui fait vraiment notre différence. Le simple fait de se sentir différent est suffisant en vérité. Hautement subjectif, ancré dans l’inconscient collectif, peut-être difficile à admettre si un visiteur scrutait spécifiquement les relations professionnelles ou l’alimentation (toutes deux passablement nord-américaines) mais tellement vrai.
Qu’est-ce qui fait qu’une population — appelons-la « peuple » – se sent différente de ses voisins, au point de se constituer en nation? Et jusqu’où peut aller ce sentiment distinctif? Qu’est-il prêt à accepter de compromissions sans se sentir piétiné, humilié? Au moment où nous fêtions la St Jean, avec force bières et chanteurs au parc des Cèdres (au nom d’une Québec « français », d’un Québec multiculturel et multilingue ou d’une francophonie pancanadienne?), donc à ce même instant mourait l’un des piliers de cette construction symbolique, mythologique qui s’est construite ici depuis les années 1960. Une certaine idée du Québec. Une idée qui a la tête dure, celle d’un Québec progressiste, à la pointe des réformes sociales. De mon point de vue, à l’exception de période de la Révolution tranquille, le Québec reste une société plutôt conservatrice, cet épisode constituant une exception davantage qu’une règle.
Certes, la Révolution tranquille a remis l’état québécois au centre d’un grand changement social, dans tous les secteurs d’activités, en particulier afin de donner au plus grand nombre la chance d’accéder aux soins de santé, à l’éducation, à la culture, tout en redonnant au Québec une voix distincte de celle du Canada ; tout cela en toute autonomie, hors de l’influence de l’église. Depuis, la sécularisation de la société québécoise s’est poursuivie, dans la limite stricte du cadre de la Charte (canadienne et québécoise) des droits et libertés, donc sous l’égide de son préambule qui avance comme principe premier la « suprématie de Dieu », avant même toute référence au droit. Cependant, les années 1980, Wall Street, la mondialisation accélérée des échanges, l’avènement de la pensée néo-libérale comme pensée unique, l’Islam politique et ses avatars terroristes sont passés par là. Le défi pour le Québec d’ici à la fin 2018 est de savoir s’il préfèrera continuer de se recroqueviller, en élisant des partis socialement conservateurs ou s’il optera pour une autre voie, plus progressiste. À l’image d’un Paul Gérin-Lajoie, fervent défenseur de l’éducation citoyenne et promoteur d’une mondialisation éclairée.