ÉDITORIAL
Être raciste ou ne pas être
La grande question de la semaine : le racisme est-il systémique au Québec ou pas ? Si Justin Trudeau avance qu’au Canada « la discrimination systémique, le racisme anti-noir, l’intolérance existent » et que le Québec fait partie du Canada — ce qui est encore le cas, à ma connaissance — alors, la réponse est claire. Pourtant son homologue provincial, François Legault affirme plutôt que l’on a « des gens qui sont racistes, dans toutes les parties de notre société », mais « il n’y a pas un système en place qui fait qu’on s’organise pour discriminer ». Qui croire ? Quelle différence cela fait-il, puisque les deux admettent au fond que racisme il y a ? N’est-ce qu’un problème de perception ? Ou bien ne disent-ils pas la même chose, mais sous un angle différent ?
Entendons-nous d’abord sur les termes : Le Larousse définit le terme « racisme » comme une « idéologie fondée sur la croyance [et non les faits] qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains », comme « un comportement inspiré par cette idéologie », mais également, plus globalement, comme toute « attitude d’hostilité systématique [tiens, on n’est pas loin de systémique] à l’égard d’une catégorie de personnes », par exemple du racisme antijeune. Dans notre situation, je pense qu’il faut donc parler d’hostilité, mais pas forcément idéologique ; ce serait plutôt la manière dont un système (nos lois, nos règlements, nos usages), pas forcément discriminatoire en lui-même, et utilisé par un nombre variable d’individus d’une manière hostile, néfaste, pénalisante envers les noirs ou d’autres communautés visibles (même si l’histoire des noirs en Amérique a ses spécificités, tel l’esclavage). Je ne reviens pas sur la différence évidente entre « systémique » et « systématique », ce serait insultant pour vous, chers lecteurs.
En revanche, il me semble difficile de comparer en tout point les États-Unis et le Canada, notamment parce que les forces de police n’ont pas les mêmes caractéristiques, mais aussi parce que le cadre légal et culturel dans lequel les populations évoluent est très différent : dans les états du sud ségrégationnistes, il y a eu des pendaisons et des lynchages arbitraires pendant longtemps ; le port d’armes est inscrit dans la constitution ; la formation des policiers y est extrêmement variable, ces derniers ont pour mot d’ordre de « neutraliser » le danger en tirant pour à la tête ou à la poitrine, etc.
Cependant, les faits sont là : à Montréal, de nos jours, les personnes d’origine arabe, autochtone et noire ont respectivement deux fois, quatre fois et cinq fois plus de chances d’être interpellées par la police que les blancs. Le directeur du SPVM l’avoue : il y a profilage ; parallèlement, les policiers canadiens suivent des formations pour mieux comprendre ce mécanisme psychologique souvent inconscient et le combattre. Si les recruteurs dévalorisent l’appartenance à tel ou tel groupe, parce que plus paresseux, plus vindicatif ou religieux, selon leurs opinions, il y a discrimination. Ce sont autant de plafonds de verre. Le taux de criminalité plus grand dans certaines communautés est souvent avancé pour justifier ce racisme quotidien, pas vraiment haineux, mais platement méprisant. Mais justement, le fait que les autochtones soient surreprésentés dans les prisons n’est pas une cause, plutôt la conséquence d’une série de désavantages subis à plusieurs niveaux depuis la naissance…
Arrêtons de nous poser les mauvaises questions, changeons notre état d’esprit, soyons ouverts, informés, compatissants. Montrons notre (plus belle) humanité!