ÉDITORIAL
Trudeau et le pétrole (2) ou comment renier sa plateforme électorale
Oui, l’Alberta détient 92 % des réserves canadiennes de pétrole; oui, c’est la 3e réserve au monde. Les prévisions sont même d’augmenter la production de 2,5 millions de barils de pétrole brut par jour à 4 d’ici 2025. La province de l’Ouest argue qu’exporter ce produit des sables bitumineux est devenu difficile, à cause de son enclavement et de la vétusté du réseau d’oléoducs. Transmountain permettrait de multiplier par 3 le nombre de barils par jour!
En économie, qui veut vendre doit d’abord calculer ses couts de production, s’assurer que les investisseurs aident au développement de l’activité. Or, le gouvernement du Canada oublie que dans le secteur de l’industrie qui extrait les hydrocarbures, la tendance est au repli… On investit moins, surtout dans les sables bitumineux, parce que ça coûte cher (extraction + raffinement + transport), et ça ne se vend pas très cher. Malgré la hausse récente des prix du pétrole, les sables bitumineux ne sont pas vraiment rentables. N’oublions pas que l’objectif est de dégager des profits. On rêve d’une envolée de la demande… Transmountain couterait en vérité 7,5 milliards, au minimum. Conséquence : son tarif d’utilisation sera également plus élevé, ce qui pourrait faire reculer les clients et les investisseurs, encore une fois. Et puis, les entreprises extractrices se sont-elles plaintes de manquer de transport? Aucunement. Avec Keystone XL et la ligne 3 d’Enbridge, pas de problème à ce niveau-là. Alors quoi?
En économie, avant de se lancer en affaire, il faut toujours considérer la concurrence. Or, les Américains sont de plus en forts avec leur pétrole issu du schiste. Coûts d’investissement moindre, ajustement rapide à la demande, matière plus légère et flexible, le pétrole albertain restera toujours plus cher. La construction d’un nouveau pipeline sera-t-elle un argument suffisant pour attirer les investisseurs? Pari bien hasardeux.
En économie, qui veut vendre doit trouver acheteur (loi de l’offre et de la demande). Les libéraux affirment que le marché asiatique sera notre débouché. Sur quelle étude est-ce fondé? La Chine nous aime tant qu’elle va automatiquement se tourner vers nous, sans considérer d’autres fournisseurs, tels que le Nigéria, la Malaisie ou le Moyen-Orient? Or, elle utilise actuellement assez de pétrole lourd pour son usage domestique, alors qu’elle opère de surcroît sa transition vers l’électrique et se veut la championne des énergies vertes. La Chine veut au contraire réduire sa dépendance énergétique à ce genre de combustible fossile et hautement polluant.
Tout cela pour dire que sur le plan économique, en termes de rentabilité, la décision de l’équipe Trudeau est plus que discutable. Si Kinder Morgan s’est retiré, c’est peut-être d’ailleurs qu’elle n’y voit pas grand profit. Pourquoi nous, citoyens, devrions-nous engager notre argent? Pour maintenir 450 emplois directs en Alberta? Pour tenir une promesse faite devant un parterre de géants de l’industrie gazière et pétrolière en mars 2017, en oubliant celle faite à ses propres électeurs et au monde entier (Sommet de Paris, novembre 2015)?
Au lieu de l’augmenter, limitons peu à peu l’offre de pétrole tout en incitant la population, à coup de campagnes d’information, de règlementations, à moins consommer de pétrole. Comme l’IRIS le conseillait déjà en 2015, l’« efficacité énergétique », là est le véritable investissement. Oups! J’ai oublié d’aborder les aspects environnementaux et éthiques…