Un bonjour d’outremer!
Asiya Richard
Ces jeunes sont les enfants d’une famille de réfugiés que je parraine depuis janvier 2017, quelques jours avant que le gouvernement Couillard, soucieux des Québécois qui voyaient d’un mauvais œil les réfugiés, avait claqué la porte aux parrainages privés.
Avec des parents ayant des compétences recherchés au Québec, et avec leurs jeunes enfants prêts à s’intégrer au Québec, je croyais qu’elle allait pouvoir venir relativement rapidement contribuer à notre société. Surtout parce que cette famille ne serait pas un fardeau pour le gouvernement (il faut mettre suffisamment d’argent de côté pour défrayer les coûts de leur première année au Québec avant d’entreprendre un parrainage privé). J’ai alors commencé de leur enseigner le français par Skype. Il a fallu aussi que je les aide financièrement car les employeurs payaient (s’ils payaient du tout… les réfugiés sont très vulnérables aux escrocs, car ils travaillent au noir et sont minoritaires) un piètre 7 dollars par jour. Pendant six mois, nous avons fait des cours presque tous les jours. Les deux parents ont appris à s’exprimer en français et ont appris un peu de la vie et des mœurs québécois. Les enfants chantaient des chansons en français et avaient hâte de venir au Québec pour commencer l’école ici.
Mais le système de parrainage avait changé. Le processus de vérification au niveau provincial qui prenait jadis que quelques semaines, a pris environ neuf mois avant que la demande ne soit envoyée au fédéral. Et là encore, du temps à attendre… et attendre… Le père de la famille, ayant plus de facilité avec la langue, a continué d’apprendre le français avec un gentil retraité d’Aylmer.
Malgré les employeurs abusifs, les conditions de vie ardues, et mêmes les bombardements d’obus d’artillerie venant de la Syrie (oui, à la frontière turque, les gens sont vulnérables aux missiles venant de la Syrie), la famille a attendu patiemment, les parents essayant de leur mieux d’offrir à leurs enfants une enfance. Lors des bombardements, quand les enfants pleuraient de peur, ils ont voulu quitter la région frontalière, mais le gouvernement turque ne les ai pas permis de fuir. Ils étaient pris.
Finalement, en janvier 2019, la famille a été convoquée en entrevue à l’ambassade canadienne en Turquie. Le seul hic : la police locale leur refusait la permission d’y aller. La famille a dû prendre une décision difficile, car elle essayait toujours de respecter la loi. Elle a décidé de voyager à l’ambassade illégalement. C’était cher, et ils avaient peur de se faire prendre, mais ils ont pu faire un aller-retour rapide, sans être épiés aux multiples postes de contrôle, un fait qu’ils jugent miraculeux.
Leur visite à l’ambassade, par contre, était une expérience de rêve : les gens étaient polis et accueillants. Habitués à êtres maltraités par les autorités, ils m’ont raconté leur enchantement : les canadiens étaient les plus gentilles personnes au monde ! Le personnel de l’ambassade était aussi épris d’eux, et de leur capacité de s’exprimer en français. Pour leur faciliter la vie, tous les examens, les photos et les paperasses ont été faits dans une journée. On leur ai dit qu’ils viendraient très prochainement au Québec.
Mais les mois se sont écoulés… l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés est passée rénover leur appartement. Bonne nouvelle? Pas vraiment. Parce que par la suite, le propriétaire a voulu reprendre leur appartement pour le louer plus cher. Pendant des mois, la famille rassurait le locateur qu’elle partirait bientôt pour le Canada. Mais il n’y a eu aucun appel de l’ambassade. Finalement, le 30 juin 2019, le propriétaire en avait assez. Malgré son entente avec les Nations Unies de continuer de leur louer l’appartement après les rénovations, le propriétaire, son fils, et une foule menaçante, sont venus essayer d’extraire la famille de force. La mère a barré la porte, mais la foule, avec des fers à béton, a défoncé le mur de l’appartement. Avertis de quitter les lieux immédiatement pour la sauvegarde de leurs enfants terrifiés, la famille a dû fuir.
Ils ont trouvé un autre appartement. Au Québec, la DPJ interviendrait pour secourir les enfants obligés de vivre dans un tel lieu. Mais quelle choix ont-ils? Les réfugiés n’ont pas vraiment de droits ni voix. Alors les enfants vivent comme font les enfants, même dans les pires des situations : avec espoir.
Mais les parents s’inquiètent. Les autorités turques qui, jusqu’à maintenant ignoraient le travail au noir que doivent faire les réfugiés afin de survivre, ont changé de ton : toute personne reconnue coupable de travailler sans permis sera refoulée en Syrie, ainsi que sa famille. Les adultes n’osent plus travailler car les bombardements meurtriers continuent en Syrie. La semaine dernière, de la parenté qui est restée en Syrie a été tuée lors d’un bombardement aérien. Les parents ont peur pour leurs enfants. Mais de quoi vont-ils se nourrir pendant qu’ils attendent de venir au Québec? L’aide que je peux les envoyer couvre le loyer, mais n’est pas assez pour tout dont ils ont besoin.
Le discours à propos des réfugiés au Québec en ce moment n’est pas très positif. C’est facile de diaboliser les gens qui ne peuvent pas se défendre. Mais la prochaine fois qu’on appelle à encore retarder le traitement de dossiers de réfugiés… pensez à cette famille, ces enfants.