ÉDITORIAL
Un peu plus vite vers le mur
J’ai le sentiment de revenir sans cesse sur les mêmes sujets. Pourtant, difficile de passer à côté de certaines nouvelles… parfois pas si nouvelles en réalité. Prenez l’exemple d’Irving. Arrivé au Canada en 2005, je croyais encore naïvement qu’Irving était simplement une marque de station essence que j’avais aperçue par-ci par-là.
Or, je suis tombé par hasard sur un article du Monde diplomatique, organisme de presse et d’investigation des plus fiables. On y analysait l’emprise qu’a cette famille (le journaliste parle de « dynastie ») sur la vie des Néo-Brunswickois, mais aussi dans les autres provinces maritimes, et même au Maine. J’ai tout simplement halluciné. Les Irving sont carrément une atteinte à la démocratie la plus fondamentale. En gros, ils possèdent toute la chaine d’approvisionnement qui leur permet de faire du commerce interentreprises, mais dont les bénéfices vont au final dans une seule poche, la leur. Au lieu de s’étendre internationalement comme une multinationale (ils en ont les moyens), ils achètent tout dans un périmètre réduit. Ils financent la plupart des universités, installations sportives, musées et grands évènements, qui leur sont donc redevables. La famille Irving détient la raffinerie de St-Jean, la plus importante au Canada, mais en plus, le nouveau premier ministre du N. B. a été l’un de ses cadres pendant 30 ans. Le chef du clan, Kenneth Irving, a déjà menacé de « fermer le parlement » du Néo-Brunswick (!); il fait voter des lois qui protègent ses propriétés et il est même citoyen des Bahamas (impossible de connaître exactement le montant des bénéfices de la société Irving ou de ce qu’elle paye en impôt). Il y a dans cette province moins de consultations publiques qu’au Kurdistan ou au Guatemala, c’est pour dire. Dans ces conditions, croyez-vous que la province abandonne les projets pétroliers pour prendre un virage vert?
Alberta, Saskatchewan, Manitoba, Ontario, Île du prince Edward… Québec. En cinq ans, toutes ces provinces ont élu des conservateurs (et des hommes), illustrant un retour de balancier préoccupant. Pour les analystes, les électeurs seraient de moins en moins patients avec les gouvernements qui ne livrent pas la marchandise, tout en désirant du changement. Mais de là à voter « conservateur »? Relisez une seconde ce mot, que veut-il dire? Pourquoi des « conservateurs » voudraient-ils de grands changements qui répondent aux vrais défis d’aujourd’hui et demain, donc écologiques? Ne serait-ce pas plutôt une réaction, donc un recroquevillement, un retour en arrière, par crainte de réformes radicales, pourtant nécessaires à moyen et long terme? Une sorte de déni? Par ailleurs, les électeurs ont choisi en deuxième position le Parti vert, ce qui prouve combien les opinions se cristallisent de nos jours. Cependant, tous ces dirigeants ont un point commun : leur credo économique repose sur une croissance qui privilégie l’exploitation des énergies fossiles, notamment des sables bitumineux.
Justement, en ce qui concerne ces derniers, une étude très sérieuse (d’Environnement et changement climatique Canada) vient de confirmer que l’industrie des sables bitumineux pollue plus encore qu’on ne le dit : ses émissions de CO2 seraient 30 % plus élevées que ce que les compagnies pétrolières avancent. Et évidemment, c’est sans compter ce que produit le transport, le raffinement et la consommation du pétrole ainsi produit. Je vous parlais de retour en arrière…