ÉDITORIAL
Une nouvelle (fiction) pour Andy Black : retour à l’école
Lundi, 7 h 55 du matin. J’accélère le pas, je ne veux pas arriver en retard à mon premier cours. En plus, je ne dois pas oublier de passer par le sas de désinfection, va prendre quelques minutes de plus… Mais c’est chill, pas mal d’étudiants ne sont même pas revenus à l’école après la dernière pandémie. Ils ont autre chose de mieux à faire, ou leurs parents ne se lèvent plus le matin pour aller travailler, alors eux aussi restent au lit. Ils sont libres, chacun fait ce qu’il lui plait, après tout.
Je me rue dans la salle des casiers et fonce vers mon casier tout en ajustant le masque sur mon visage. Il est obligatoire en tout temps. J’arrive devant le local, la cellule photoélectrique me détecte et la porte s’ouvre en silence. Pas de contact. J’entre dans la classe, avec mon quatrième prof de français de l’année : le premier a pris sa retraite anticipée ; le deuxième a lâché après que le ministère a décidé que les profs seraient appelés en tout temps, en tout lieu, selon les besoins de l’école ; le troisième s’est associé à mon chum Amir pour travailler dans le paysagement, et en trois mois, il a pu s’acheter le pick-up de ses rêves.
Nous sommes maintenant dix dans la classe, « distanciation sociale oblige », comme le clament les publicités du ministère de l’Éducation. Au fond, je préfère : le prof s’occupe mieux de nous, c’est comme un cours semi-privé. Il a fallu dédoubler les cours tout en divisant les effectifs, donc j’ai parfois cours le matin, parfois l’après-midi, avec de l’enseignement à distance pour certaines matières. Il faut un ordi et une bonne connexion. Ils appellent ça le nouveau régime scolaire. Et l’école ouvre même les soirs.
Deux heures plus tard, je quitte l’école pour manger. Toutes les cafétérias ont été fermées pour éviter des devenir « foyer de contagion », les dépanneurs en ont tiré profit, c’est bon pour l’économie. Je sors la tête lourde, mais heureux d’avoir pu voir et parler à mes chums ; les écrans, je ne pourrais pas m’en penser, mais j’avoue : s’aérer chaque jour pendant quelques heures fait du bien. On pourra plus me traiter de « gamer ».
En arrivant chez moi, je pense vaguement à la fin de l’année. J’ai confiance : si tu te donnes la peine d’aller en cours, tu passes toujours. C’est la règle. De nos jours, c’est « succès » ou « échec », plus de calcul compliqué, comme avant. On veut faire de moi un individu qui a confiance en lui. D’ailleurs, les cours à distance, je gère. C’est du travail, mais on peut se connecter, laisser le prof parler et faire la sieste au besoin, tant que le travail est fait… Et puis, par exemple, je n’ai quasiment pas vu certains de mes enseignants ces dernières années. Ils font un peu ce qu’ils veulent. Le Ministère lance les idées, les écoles les appliquent… comme elles peuvent. Déjà qu’il y a pénurie de profs, on va pas commencer à leur demander des comptes en plus ! Les payer plus ? On est en déficit ! Moins de dépenses non nécessaires, c’est moins d’impôts, nous a dit la prof de Finances personnelles. J’approuve, c’est ça aussi la liberté.