ÉDITORIAL
Une pomme de discorde ?
Il y aurait tant à dire sur des sujets qui devraient nous titiller, nous irriter, nous sortir de notre zone de confort… Tant de choses sur lesquelles réfléchir pour être des citoyens plus réfléchis et responsables. Nous sommes plus ou moins cyniques, nous protégeant ainsi des revers de la vie; cependant, certains gardent au fond d’eux-mêmes des idéaux, un optimisme. Mais quand il s’agit d’une personnalité publique, homme ou femme politique, le cynisme nous éclabousse plus rapidement : cela nous fait considérer les « affaires de la cité » comme une arène, une joute, un jeu où tous moyens sont bons.
Or, nous, Québécois, venons de subir un traumatisme avec le sextuple assassinat de la mosquée de Québec, un crime haineux envers des musulmans. Chagrin, recueillement, œcuménisme, unité de la nation, autant de mots et de moments qui ont ponctué les deux dernières semaines. Tous nos dirigeants ont prononcé des discours pleins d’émotions, de vœux pieux et de bons sentiments.
Mais contre toute attente, après avoir vilipendé toute discussion autour de la neutralité de l’état, des accommodements « raisonnables » et donc de la laïcité dans notre société, M.Couillard a relancé lui-même le débat avec son projet de loi 62. Cela pourrait paraître étonnant venant d’un homme qui renvoie systématiquement au PQ sa Charte de la laïcité comme si elle était une insulte xénophobe et intolérante à toutes les personnes ouvertes d’esprit et humanistes du Canada (puisqu’il se dit fier défenseur des valeurs canadiennes). Ou bien est-ce de l’opportunisme politique?
Eh oui, nos cœurs ravagés par la tristesse et la compassion envers la communauté musulmane de Québec et l’Islam sont maintenant assez attendris pour accepter tout compromis au nom du respect des religions et des cultures. Comment serions-nous contre un projet de loi, qui tout en respectant chacun dans l’expression de sa croyance religieuse, encadre la pratique des services publics québécois?
Quelle est la prémice du raisonnement de notre premier ministre : la laïcité dans l’espace public, traduite par la neutralité des employés de l’état quand ils fournissent un service aux usagers, donc cette laïcité ne respecterait pas nos croyances individuelles. Rappelons-nous que la « laïcité » américaine (secularism) protège les croyances individuelles contre la pression de l’état, alors qu’en France, par exemple, elle protège au contraire l’état et les individus contre les croyances; chacun peut parler au « je » sans subir de pression d’un « nous » communautaire exclusif.
À propos de sa loi 62, M.Couillard a associé les grands mots (« défendre des principes fondamentaux ») et les petits raisonnements (« à ce jour, aucun policier n’a jamais arboré un symbole religieux au Québec »). Comme si le problème était là! D’ailleurs, la question des accommodements pour les fonctionnaires en position d’autorité et/ou de coercition ne concerne qu’une en fait qu’une minorité de fondamentalistes, mais cristallise le débat et biaise notre opinion. En France, le débat a été réglé… et les cimetières municipaux sont laïques : les musulmans prennent leur dernier repos à côté des juifs, des chrétiens et des athées. Pas de murs entre les religions, on est égaux devant la mort. On n’habite pas un pays où l’on ne peut être enterré, comme le rappelle Christian Rioux dans le Devoir.
En vérité, la question est : quelle place doit-on laisser à la religion dans l’espace où l’on vit ensemble. Dans les écoles, dans les institutions pénales ou politiques, que partageons-nous? La religion? Alors, la meilleure manière d’éviter des débats stériles sur des sujets qui concernent nos croyances et pratiques personnelles ne serait-elle pas simplement de les bannir de l’espace public?