ÉDITORIAL
Unilinguisme, bilinguisme et autres truismes
Je suis assez étonné qu’au sortir du mois mars, il n’y ait pas eu grand-chose dans le Bulletin pour célébrer le Mois de la francophonie en Amérique du Nord, ou même la journée internationale de la Francophonie, le 20 mars. Ni du côté des chroniqueurs ni du côté du courrier des lecteurs, pourtant abondant et largement publié. Est-ce à dire qu’en ces temps de troisième vague d’une pandémie qui n’en finit plus, le sujet est de moindre importance ?
Pourtant, dans l’école où j’enseigne, nous avons organisé une Semaine internationale de la Francophonie, à l’école junior (de la 4e à la 8e année) comme à l’école senior (jusqu’à la 12e). Je vous passe le détail des activités, mais nous avons eu par exemple la chance de passer une heure avec S.É. Viviane Bampassy, ambassadrice du Sénégal, l’un des pays fondateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Le pays de Léopold Cedar Senghor, l’un des chantres de la « négritude », est officiellement unilingue francophone… mais prône le multilinguisme !
En effet, le français y est langue officielle, pour une raison pratique surtout : il est la langue commune. À ses côtés, plusieurs dizaines de langues vernaculaires, proprement africaines, occupent le terrain, dépendant de la région et de l’ethnie, la plus importante en quantité de locuteurs étant le Wolof. Toutefois, au lieu de choisir un bilinguisme officiel qui ne pourrait pas véritablement être mis en place concrètement, au quotidien, à tous les niveaux de gouvernement et partout, et qui donc toujours pénaliserait une partie de la population, le Sénégal s’est tourné vers un multilinguisme assumé.
Ainsi, le français reste langue officielle du pays, de l’administration et des études, alors que l’on reconnait à ses côtés plusieurs langues nationales : dans un tribunal ou à l’Assemblée nationale, chacun peut parler dans la langue (nationale) de son choix ; des traducteurs se chargent du reste ; et les décisions ou actes juridiques, les lois seront rédigées en français. Mme l’Ambassadrice n’a pas nié que ce système avait ses propres défauts.
Cependant, personnellement, je me demande si ce ne serait pas mieux que de vivre un pseudo-bilinguisme qui, dans les faits, n’existe ni au sein des différents paliers de gouvernement ni dans la vie de tous les jours. Certes, je suis le premier à considérer le français, au même titre que l’anglais, comme l’une des langues des fondateurs du Canada, mais qu’en est-il des langues autochtones… ou encore du chinois ? Certes, le Québec est très majoritairement francophone, et pour une bonne raison : c’est qu’à un certain moment de son histoire, il s’est doté de lois protégeant son usage, contrairement à d’autres provinces. Mais que faisons-nous de la loi 101 ? Comment francise-t-on nos immigrants ? Quelle est la volonté réelle de la population autant que des décideurs (économiques, culturels et politiques) en la matière ?
Les nouvelles générations n’ont aucune conscience qu’elles parlent encore français grâce aux efforts de leurs ainés ; la pression sociale, économique et culturelle pour « switcher » à l’anglais est grandissante. On laisse même nos jeunes commencer leur vie postsecondaire dans la langue de leur choix alors que les études prouvent que cela conditionnera leur langue de travail. À terme, si le français n’est plus utilisé que dans la sphère personnelle, à la maison, alors que deviendra-t-il ? Certainement pas une langue officielle.