ÉDITORIAL
Usurpation
Et moi qui déplorais le 65 %. Vous vous dites : « Il va encore nous submerger de chiffres, comme si on n’en recevait pas déjà assez… ». Surtout lorsque surviennent des élections, mais pas seulement. Aujourd’hui, notre vie repose sur des chiffres. Et, en plus, on peut généralement leur faire dire ce que l’on veut. En tout cas, c’est l’opinion commune… Mais parfois, avouons qu’ils sont clairs par eux-mêmes.
Ainsi, je croyais que 25 % d’abstention, c’était beaucoup pour une élection de ce niveau. Voyons donc ! Pour élire le premier ministre du Canada ? En fait, pour élire le parti qui le nommera à ce poste, puisque techniquement nous ne votons pas pour lui, nous votons pour les députés d’un parti qui, fort de sa majorité de voix, proposera naturellement son chef comme candidat à cette fonction prestigieuse.
Ai-je dit « fort de sa majorité de voix » ? Eh oui, paradoxe du système britannique que nous perpétuons sans trop réfléchir, le Parti libéral de Greg Fergus et de Justin Trudeau est non seulement minoritaire (à 15 sièges près), mais a recueilli en fait moins de voix que le Parti conservateur.
En réalité, le véritable et crucial enjeu démocratique ici présent est celui de la représentativité, au-delà des dispositifs concrets d’organisation des élections, du ton et de l’intégrité des candidats ou de la motivation des citoyens (bien que l’on puisse faire un lien avec ce dernier aspect). Pour preuve : la représentation des femmes. Moins d’un député sur 3 est de sexe féminin, malgré l’augmentation globale du nombre de candidates au sein des différents partis. Ce chiffre n’a est pratiquement le même que celui de 2015. C’est au Québec que l’on retrouve le plus grand nombre d’élues, devant l’Ontario et la Colombie-Britannique, respectivement 33 %, 31 % et 31 %. On voit que l’écart est bien mince.
Et là, je suis tombé sur les taux de participation (arrondis) dans les circonscriptions de l’Outaouais ! Je mets les deux bords de la rivière dans le même sac, si vous me le permettez… Attention, ça va faire mal à votre âme démocrate. Argenteuil-Petite nation :
37 % ; Gatineau : 51 % ; Hull-Aylmer : 56 % ; Pontiac : 28 % ; Ottawa-centre : 38 % ; Ottawa-Vanier : 35 % ; Ottawa-Sud : 40 % ; Ottawa-Ouest-Nepean :
34 % ; Orléans : 39 %, etc. Vous comprenez, vous, comment nous pouvons même en arriver à une moyenne canadienne de 65 %? Le fait reste que la participation est pitoyable, dérisoire ; ajoutez-y les bulletins blancs de ceux ou celles qui ont simplement rayé tous les partis, et vous vous retrouvez non pas avec un taux de représentation réel de 34 % ou 33 %, mais de 25 % maximum.
Au fond, si je résume, autre paradoxe du système, même le parti élu avec le plus de voix ne représente… qu’une minorité. Si cela se déroulait en Afrique, on porterait rapidement des accusations d’usurpation du pouvoir, on qualifierait cet état de « république bananière ». Mais nous, au Canada, nous sommes polis, nous ne disons rien. Les journalistes, qui se déclarent eux-mêmes « chiens de garde de la démocratie » n’ont même pas relevé ces dissonances. Ils continuent à parler des résultats en pourcentage des voix, en oubliant de préciser « exprimées ». Pourquoi ? Incompétence ? Mauvaise foi ? Déni ? Je cherche encore la réponse.