ÉDITORIAL
Vive les fusions !
À Aylmer, nous avons un marché dominical, avec des producteurs d’ici; nous avons également le potager Eardley, les fraises du Québec et d’autres bonnes choses de l’Ontario tout proche. Et je suis certain que plusieurs d’entre vous sont heureux de pouvoir acheter de la nourriture locale, fraichement cuisinée ou cueillie, qui ne résulte pas d’une deuxième ou troisième transformation, éventuellement cultivée biologiquement, sans pesticide ou insecticide chimiques. Et si je vous disais que la majeure partie de tout cela n’est qu’illusion?
La semaine dernière, la compagnie Bayer, un des leaders mondiaux de la pharmacie (notamment distributeur de l’aspirine) a proposé à l’entreprise Monsanto, leader mondial dans le secteur des semences et des pesticides, de la racheter pour 80 milliards de dollars US. Vous avez bien lu. Chiffre d’affaires annuel : 30 milliards de dollars canadiens. Le colosse américain a accepté le deal.
En fait, pour aller un peu dans les détails, afin que cette offre ne paraisse pas trop hostile, le géant allemand a proposé de racheter chaque action de Monsanto à presque 130 $, soit plus de 20 $ au-dessus de sa valeur marchande. Une bonne affaire pour les actionnaires, quoi! Ce qui équivaudrait en fin de compte à former tout simplement le numéro 1 du secteur de l’agrochimie. Mais vous me direz : « Il y a quand même de la concurrence, ne me dites pas qu’ils sont seuls à l’échelle mondiale? ». Non, en effet. Ils sont trois : ChemChina, Syngenta, Dow Chemical et Du Pont, leurs quatre concurrents ont tous fusionné en 2015 pour devenir deux entités.
Bon, ce n’est pas encore fait : les autorités de régulation des marchés financiers doivent encore donner leur accord. Les spécialistes pensent que l’entreprise a 50 % de chances de réussir, d’autres 70 %... Reste qu’il faudra m’expliquer comment un agriculteur d’aujourd’hui peut réussir à développer son exploitation agricole à grande échelle, en espérant garantir la qualité et la quantité de sa production sans faire appel à un des trois joueurs susnommés. Et dans ce cas, comment savoir qu’ils ne se sont pas entendus pour fixer les prix et nous refiler les pires cochonneries possibles, sachant qu’ils n’ont pas de concurrents? Dans peu de temps, il faudra nourrir 10 milliards d’êtres humains en optimisant l’exploitation de nos terres arables. Déjà, 1 milliard d’êtres humains souffrent de faim chronique chaque jour, dont 4 sur 5 pratiquent l’agriculture — comble de l’ironie — mais une agriculture de subsistance, que des firmes multinationales comme Bayer-Monsanto aimeraient bien aider avec leurs engrais et semences chimiques, leurs pesticides cancérigènes et leurs vaccins douteux. Peut-on se passer d’eux?
Ceci étant dit, nous pourrions observer que la situation est paradoxale, au moment où nos leaders politiques, dont Justin Trudeau, en bons adeptes du néo-libéralisme, ne jurent que par l’ouverture des marchés, les accords transatlantiques et autres abolitions des taxes douanières. On veut nous faire croire que moins l’état met son nez dans l’économie, mieux les marchés se portent et donc plus heureux nous serons, nous, modestes consommateurs en bout de chaine alimentaire. Le fait est que laisser le marché se réguler revient à accepter la loi du plus fort, qui aboutit à des oligopoles (quasi monopoles). Avez-vous entendu parler de lois antitrust? Cela prend des gouvernements qui interviennent, qui s’imposent. Mettre l’agriculture mondiale, et donc notre alimentation, entre les mains de seulement une, deux ou trois entreprises privées me paraît on ne peut plus téméraire, pour ne pas dire inconscient. À moins que ce laissez-faire soit intentionnel, réponde à des motivations inavouables et soit une vaste farce à l’échelle mondiale dont nous serions les dindons transgéniques.